Aragon, un chaman de la littérature

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audrey83
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Le topic citation n'étant pas assez grand pour accueillir la prose d'Aragon, je crée ce topic à son effigie, de Brel à Ferrat en passant par Gainsbourg et Férré, et bien sûr Saez, car quand on lit Aragon on ne peut s'empêcher de penser qu'il a été lu de tous les grands, tant son rapport à la langue, aux personnages iconographiques, aux lieux, à la poésie transpire dans leurs chansons. Ou alors c'est encore affaire d'inconscient, d'inconscient collectif, psychédélisme de la poésie à la lewis caroll, dans le théâtre magique d'hermann Hesse. En tout cas, Aragon ça vaut son pesant d'or, c'est de la bonne! Je met en spoiler comme l'avait fait digitalis dans son studieux topic Damien et Zola, pour ne pas alourdir les tartines. Bonne dégustation aux amateurs de littérature chamanesque :) et partagez vos enthousiasmes littéraires ou vos passerelles ou vos documentaires au sujet d'Aragon si vous en avez camarades saeziens. A table!

Blanche ou l'oubli (édition folio)

(ou la poésie à tous les étages!)

chapitre changer de Dieu:
p.136
Un nom comme en affuble d'un les comètes: IKeya-Seki.
Spoiler
p.150
Parce-que, si c'est moi qui parle, Périgueux est un souvenir. Si c'est Marie-Noire, qui est une créature de l'oubli, alors je disais bien, dans ce cas, Périgueux devient un roman. C'est à dire une méditation entre la vie et moi. Quelque chose qui se forme au niveau de la conscience que je prend du monde, au niveau du langage. Une énorme unité sémantique. Quelque chose qui me rend la vie possible. Je ne me passe pas des romans. Le roman c'est le langage organisé pour moi.
chapitre "pardonnez-moi , M. Bohême":
Spoiler
p.184/186
Qu'est-ce que tu fais dans le noir à écouter Brel? Agnès n'est pas encore là?" dit Philippe, qui allume et jette ses provisions sur la table, toute la couleur de ses provisions, le papier roux des biscottes, les sachets de soupe à chromos, le carton bleu mou du sucre, le sac de pommes. Tiens, c'est vrai, c'était Brel. Marie-Noire ouvre difficilement les yeux et l'électricité l'éblouit. Elle baisse les paupières et voit danser la couleur subjective, une forme déchirée d'un jaune pâle et brillant avec un cerne orange sur la nuit. Un halo qui joue avec l'autre, et s'efface. Le mauve est revenu à sa place, il s'y forme et s'y déforme, flotte, fond, flambe, fait comme une nacelle sur des flots foncés. Puis c'est à nouveau les ténèbres où cherche son chemin une vieille feuille verte, mouillée, roulée, recroquevillée. Marie-Noire vient de comprendre quelque chose: la couleur qu'elle cherche, ce n'est pas Périgueux, c'est elle-même, la couleur que son oeil invente (nous ne sommes rien, ce que nous cherchons est tout) tout se passe comme s'il y avait entre elle et la lampe une rivalité de lumière. Et brusquement elle s'écrie: "mais qu'est-ce que c'est ces pommes rouges Philippe? (..........) Je t'avais dit de prendre des golden."
chapitre la lettre
Spoiler
p214/215
Ah toutes les langues humaines, langues de chasseurs, de trafiquants, de chercheurs de camphre, de hauts fonctionnaires dont est le syllabaire à l'épreuve du feu, langue du bagne ou des barques, langue des longs cheminements au désert ou du temps perdu dans les forêts, langue de tromperie ou langues de troc, langues de sommeil et langues de langueur, langue du prince et langue du mépris, langue de cour ou langue de cérémonie, langues de circoncision, langues de cruauté, échos, appels, cris de haleurs, geindre des porteurs d'eau, ahan des sculpteurs de pierre, ô chose gutturale dans la nuit des hommes! toutes les langues dans toutes les bouches, leur impuissance à dire la femme...ce vent du torse en moi qui monte et vire et ne trouve point issue...et toi douceur qui n'as d'autre loi qu'un vertige, syntaxe que babultiement, vers qui les mots prennent chant de liturgie, confondant le plaisir et le sanglot, ô disparue, et ma vie à tâtons n'est que vain espoir de toi...cet évanouissement de toi...ce monument d'absence où tout n'est plus que symbole, abstraction tombale, croix, colombes, fleurs de perles, inscriptions d'audelà, langage infernal..."allô, allô...crie Marie-Noire, que dîtes vous , là-bas, je n'entends pas, y a toute sorte de bruit dans l'appareil, comme si quelqu'un pleurait...parlez-plus fort!"
chapitre quel est donc le parfum de la tristesse
Spoiler
p.232/233
Dans ma vie...comme pour Hypérion, Diotima morte, le printemps...l'équinoxe du printemps. (...) A Bali, j'ai vu une grande statue ainsi prise dans les lianes d'un waringhin (...) le langage comme le vent qui effrite la pierre oublieuse du volcan.
p.238
Didongs (...) Qu'y vînmes -nous chercher? Je me le demande parfois avec une inquiétude sourde, au fond de ce pays où le soleil pèse sur les têtes, et qui n'a d'air qu'à remonter là-haut, sur les plateaux au pied des volcans nonchalants. Tout d'un coup les yeux de Blanche se sont tournés vers le ciel et je les suis où la nue se déchire. "Tjeléret" dit une voix profonde d'homme et nous respirons tous comme si, d'avoir nommé l'éclair, la pluie était proche. (...) Et revenant du ciel, les yeux de Blanche semble porter blessure de l'éclair.
chapitre ne dérangez pas M.Zitrone
p301
Spoiler
Un homme, ça entre dans votre lit, mais pas dans ce qu'on pense. (...) Autant être jaloux d'Holderlin. Un livre ou un homme, c'est pour le temps perdu. Puis j'arrive. Elle le pose. Le livre, s'entend. L'homme, elle l'oublie. Le livre. C'était peut-être Trilby. Et quand ça serait Sjekspir!
chapitre j'écoute seul ma langue intérieure
Spoiler
p304 à 307 c'est parti, (on croirait un essai de Claude Hagège l'homme qui parlait 80 langues) (on croirait à du Roland Barthes)
Toute ma vie n'aura été qu'un jeu prolongé. Ce goût que j'ai des parlers humains...et même j'ai eu la tentation d'aller au-delà, de proche en proche. Il ne me suffisait pas d'abord de comprendre les hommes que je pouvais rencontrer par leur langage, comme un joueur de ping-pong que ronge l'ambition de se faire champion de tennis, je prolongeais les routes de la connaissance, de mon parler natal, aux autres parlers par les veines des mots, leurs modifications, leurs parentés, puis je m'étais mis à provoquer mon ignorance, à me consterner de mes frontières, à secouer les bornes de mon pauvre savoir, à interroger d'autres groupes humains, leurs yeux devant moi vides, l'incompréhensible du bruit qu'ils font avec leurs lèvres, qu'aucun lexique ne permet de comprendre, si d'abord on ne connaît pas leurs moeurs, leurs religions, leurs rêves, le sol de leur pays, leurs volcans, les catastrophes des eaux, les bêtes inimaginables de leurs forêts, les oiseaux de leur ciel...et puis même à distinguer les dialectes d'une île, les vocabulaires mêlés, les reflets de sociétés dont la coexistence est comme le kaléidoscope des siècles, les centaines, les milliers de langage dont le vertige me prenait non pour l'étendue de leur domaine, mais des écarts comme crevasses entre eux, et j'étais devenu cette passion, cette soif sans limites, j'étais la victime consentante d'une drogue sans nom, d'un besoin vital, lequel ne me permettait jamais de m'arrêter, de me reposer l'esprit à faire halte entre deux tribus quelques part, dans une oasis sans paroles, où j'aurais pû regarder un instant le monde comme une bande dessinée. Je ne pouvais plus passer la main. Je criai banco à tous les mystères de l'homme, et je n'acceptais pas de perdre.
J'avais dans mon propre pays des retours d'épouvante: une absence de trois ou quatre ans et déjà mon propre langage, celui de mon enfance, était de partout lézardé, les mots avaient changé de sens, il en était poussé de nouveaux devant qui je m'interrogeais, jamais sûr de comprendre pleinement, comme des chemins ouverts pour lesquels il n'y a pas encore de cartes géographiques. Tous les phénomènes du langage, ceux de la syntaxe, les variations orthographiques, me jetaient à la terreur. En vain, j'essayais de me tromper, à établir des règles à mon jeu, à feindre qu'elles avaient toujours existé, une sorte de hiérarchie des problèmes, distinguant entre les langues à proprement parler, à la rigueur les dialectes, mais rejetant dans une zone sans noblesse les milliers et les milliers d'argots, décidant de négliger ces langues de Sioux des voleurs, des artistes, des étudiants ou des métiers. Et puis je me rendais compte de la tromperie que cela constituait de ma part à mes propres yeux. Tout le reste, tout ce que j'avais acquis, tout ce que j'avais pénétré, était miné par ce manque à savoir, perdait toute valeur réelle, j'étais envahi par les sables d'un désert, je me sentais le sauvage qui croit connaître les mathématiques parce-qu'il s'est donné un nom numérique pour chacun de ses doigts. Il m'arrivait de penser que ce n'était pas seulement dans le groupe humain qu'il décrit qu'un langage a sa raison d'être, mais plus sûrement dans sa valeur de communication? Je veux dire, probablement, je veux dire que je me sentais comme l'enfant, constamment comme l'enfant qui apprend à parler sa première langue, encore chargée de rien de ce qu'elle sera pour lui, adulte ou avant de l'être, puisqu'il est en réalité réduit à quelques fonctions naturelles, qu'il n'a accès à aucun des concepts sociaux ou sexuels qui sont la syntaxe mentale de l'homme partout. Devant chaque langage, et devant chaque convention d'échange, imposée par des conditions de vie différentes, les révolutions ou les machines...je n'en finirais pas. (...)
p 308 Le langage, j'ai beau me jurer qu'il ne relève pas de la sorcellerie
p309 Devant l'être le plus proche, la créature ouverte à mon âme, ou je le croyais, ma tentation du jour et de la nuit, mon but, ma femme, j'étais soudain comme la main devant le miroir qui croit toucher une main et ne touche que le mur de verre. Même ce langage de nous, celui qu'a formé le vivre à deux, au bout du compte était un mur de verre, un trompe-l'oeil (ou l'oreille) par quoi l'échange est feint, les mots ne vont qu'à mi-chemin et me reviennent, humiliés, comme d'avoir heurté la cloison qui nous sépare. J'ai mis longtemps à le comprendre. Et que parler même était silence. (...)
Avoir ainsi cru tenir, savoir démonter, remonter le mécanismes des paroles, découvrir le Sésame variable d'autrui, des millions d'autrui, les modes à l'infini variés de l'expression des choses d'où qu'on les voie, pour éprouver l'impénétrabilité du seul être qui semblait partager mon être.
voilà comme j'en suis à la page 325 je m'arrête là et en rajouterais peut-être un plus tard.

Quelques illustrations des passages :)

ikeya Seki

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à Périgueux

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waringhin à Bali

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waringhin en France :)

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chapitre un perpétuel mourir
Spoiler
p391
Vieil homme, quel tourbillon t'abat, quelle violence du temps sur toi soudain, qui te prend au cou des idées comme un étrangleur, un jeune étrangleur de passage, entre deux train. L' heure de la violence carillonne où meurent et naissent les mots.
p.392
Il s'est consumé dans moi, depuis que je n'ai plus écrit un mot de cette histoire un temps que je mesure mal, comme à rentrer chez soi quand l'horloge électrique, pendant qu'on était dehors, a subi des pannes, dérangements ou grèves, un temps inégal, un temps à extra-systoles, un temps de sommeils hors du temps, d'insomnies qui dilatent les heures, un temps sans repères, inutile un temps bafouillé, un temps d'oubli en oubli, un temps (à croire les journaux à leur date) qui peut bien être cinq mois? Cinq mois d'amnésie, dont rien ne reste, pas même la cendre, avec ce vent que cela fait d'ouvrir les yeux, un temps comme une longue respiration retenue. Sans doute ai-je été malade. Jusqu'à la fin mai; semble t-il, ou qu'est-ce que cela chante en moi:""""" c'était à la fin de mai quand rougit l'ancolie"""""".
Ce vers que j'ai dans la tête...De quel mai, de quelle fin de mai s'agit-il, c'était à la fin d'une guerre, autant que d'un mois de mai. Quelle guerre? J'ai oublié quelle guerre. Il y en a tant pendant la vie de Geoffroy Gaillier, des guerres...et que peut-être n'est pas besoin d'un mai finissant pour rougir l'ancolie qui vient d'Aquilée et qu'on nomme aussi bien gant de Notre-Dame ou fleur du parfait amour. L'angorie; disait Eustache deschamps, comme d'une gorge soudain où je porte la main d'angoisse...
p.404
Quand j'étais jeune, je me plaisais à dire que toute pensée est une bouteille à la mer. Elle prend le temps comme une voile le vent. Les aléas de la vague. La traversée sans port que d'échouer. Toute ma jeunesse, je l'ai jouée sur le geste de la bouteille lancée. Même avec Blanche.
p422
Les phrases défaites comme des chevelures, les syntaxes brisées, la chanson morte, kaléidoscope des cris, douleurs comme un pain partagées, apocalypse dans une goutte d'eau
ancolie ou gant de Notre-Dame

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chapitre tout l'orge de l'avenir
p.453
Spoiler
Le problème, c'est le poème ou le roman, ça, c'est un grand ensemble! et pour arriver de bout en bout, faudrait pas souffrir d'amnésie sémantique, sans quoi, "A la recherche du temps perdu"...vous voyez ce que ça donne? Le temps perdu, cette expression a changé de caractère depuis Proust.
chapitre après-dire
p596 la dernière page
Spoiler
Pas besoin de s'appeler Thérèse. Ou Blanche. Toutes ces Thérèse ne sont qu'affaire de rêves. Tout dans la vie n'est qu'affaire de rêves. Les rêves sont à l'image fuyante de ce que nous cherchons. Les rêves sont peut-être tout. Les rêves qu'on écrit dans des cahiers d'écoliers, même en ayant passé l'âge. Et rien, à partir d'un beau jour, un jour de la mi-juin, n'est plus que rêves. Ne sera jamais rien d'autre, jamais plus que des rêves? Avez-vous déjà rêvé de la douleur? La douleur est une hypothèse...j'ai dit quelque part quelque chose de ce goût là. Il y a des hypothèses à quoi l'on tient, d'autres qu'on abandonne...à toi, bonsoir bonsoir, Thérèse! Les plus belles hypothèses sont des rêves abandonnés. Comme des enfants au porche des églises. Ou, sur un banc d'une plage un gant, et la mer à marée basse au loin refait le bruit éteint des baisers.
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audrey83
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Crhonique bel canto, j'en suis à la moitié, éditions Albert Skira, en janvier 1947, il a jamais été lu car les pages n'ont pas été décollé mais cela en fait une lecture déter, j'ignore pourquoi à l'époque ils éditaient ainsi, peut-être pour tous les mythos lecteurs, si tu l'a pas lu, ça se voit :). Le résumé: """Travaillant au renouveau de l’idée de poésie après la Seconde Guerre mondiale, Louis Aragon propose dans les Chroniques du bel canto, en 1946, de lire la poésie « comme le journal ». Envisagé surtout comme mode communicationnel et support engageant une lecture différente du livre, le « journal » sert au poète-chroniqueur de modèle pour repenser la communication poétique et conduire ses contemporains à une nouvelle sensibilité littéraire. C’est aussi une notion stratégique par laquelle Aragon prend position dans les débats de son temps et reconfigure l’histoire de la poésie de façon inédite, à partir d’une idée de la réception en poésie."""

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quelques échos avec deux chansons: Alice et Château de brume

chap janvier 1946 p.10 (Alice)
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Bon, tout cela m'entraînerait trop loin, et je n'ai ici qu'un dessein: me donner chance à parler des poètes et de leurs poèmes, comme le hasard de la lecture, de la nouveautés ou des bibliothèques, me les offre. Des bons et des mauvais, des vivants et des morts. sans esprit de système. histoire d'entendre, dans leur voix, ce qui est proprement la poésie. Le chant. Ce mystérieux pouvoir d'écho, ce qui fait vibrer les verres sur la table, frissonner les insensibles.
pi.16
Peut-être y a t-il chez moi quelques partialité qui tient à mon histoire, aux enthousiasmes de ma jeunesse...peut-être que ces poèmes sont les contemporains de mes vingt ans, l'alcool sombre qui grisait mes vingt ans...mais le fait est que je ne puis les lire sans ce frémissement là
p.23
Ni ces neiges d'antan qui du temps de Villon demeurent, ni les Cydalises de Nerval, ni le Paris-Noèl des Quelques poèmes de Reverdy (1916)[:
Il neige sur le Mont-Blanc
et une grosse cloche sonne dedans
jusqu'en bas une procession de gens en noir descend
les coeurs brûlent à feu couvert
une ombre immense tourne autour du Sacré-coeur
c'est Montmartre
la lune forme la tête
ronde comme ta figure
....Minuit
Un homme marche devant et on le suit
la Seine est là
et l'on entend sur l'eau claquer des pas
Le reste se passe dans les restaurants de nuit
...

...Ni Villon, ni Nerval, ni Reverdy ne s'entendant vraiment à qui ne connaît le terrible temps de Louis XI, ni ce monde où Gérard Labrunie finit par se pendre au reverbère près du Louvre, ni l'époque où le charbon était devenu aussi précieux et rare que des pépites d'or et où non loin du Sacré-coeur, Reverdy écrivait ses poèmes. Il n'y pas de poésie, si lointaine qu'on l'a prétende des circonstances, qui ne tienne des circonstances, sa force, sa naissance et son prolongement.

Le soir qui descendait devait venir de loin
lentement la chanson dépassait nos mémoires
fallait-il sourire ou y croire
on attendait
on regardait
c'est à tout ce qui se passait ailleurs que l'on pensait


dit Reverdy dans les les ardoises du toit et j'ai envie de commettre cet abus, voyant ici décrit inconsciemment le mécanisme de toute poésie: c'est à tout ce qui se passait ailleurs que l'on pensait
Et comment voulez-vous entendre le chant, si vous ne faites pas autour de lui renaître ses circonstances? Justement ici, où elles nous sont si lointaines, où le chant lentement dépasse vos mémoires...
chap Mars 1946 p.59
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Poésie ininterrompue n'est pas que ce poème, c'est un livre et non pas un composé de hasard anthologique. Les cinq poèmes qui complètent le grand poème initial peuvent s'écarter par leur sujet de ce poème, mais ils sont animés d'un même esprit, et ils sont les moments d'une même quête, où la dénonciation du monde tel qu'il est, du monde noir, s'achève par l'appel d'un monde différent, par la négation du pessimisme originel:
Je sais parce-que je le dis
que ma colère a raison
le ciel a été foulé la chair de l'homme
a été mise en pièces
glacée, soumise, dispersée
je veux qu'on lui rende justice
une justice sans pitié
Et que l'on frappe en plein visage les bourreaux
les maîtres sans racines parmi nous

Lisez cela comme le journal, je vous en prie, aux grandes heures de Nuremberg. La poésie se lit comme le journal, et pas qu'aux heures de Nuremberg, aux grandes heures de tout un monde...
Je sais parce-que je le dis
que mon désespoir a tort
il y a partout des ventres tendres
pour inventer des hommes
pareils à moi
mon orgueil n'a pas tort
le monde ancien ne peut me toucher je suis libre
je ne suis pas un fils de roi je suis un homme
debout qu'on a voulu abattre.

Lisez cela comme le journal. La poésie, notre poésie se lit comme le journal. La journal du monde qui va venir.
chap Mai 1946 p .79 (château de brume)
Spoiler
Il est des lieux où rien n'est que musique, abandon, passage d'ailes, plages aux pieds nus du souvenir. Il est des lieux qui comblent le coeur comme fait un air, qui ont la chaude plénitude des sanglots, cette lueur d'avant la nuit dans l'été d'enfance, ce mystère banal d'un oiseau soudain qui se laisse approcher, je ne sais quoi du rêve aux yeux ouverts inexplicablement pour moi lié aux violettes éparses...Il est des lieux où chante même le silence...
Il est des moments de la vie à ces lieux semblables, où rien n'est que suspension, et le soupir même hésite, que mesure battue et la mer devinée, pressentiment d'un navire...où rien n'est que le vent pas encore levé, et la lèvre ignorante où le baiser se forme avec vers l'avenir ce geste de douceur...
Il est des haltes, fraîcheur de la source, oubli, dérives detoute barque, doigts au fil de l'eau verte, abandons, il est des haltes plus que le mouvement qui va reprendre enivrantes, plus que la fuite, plus que la valse ou le vent, il est haltes comme un chant au coeur du chant...
Il est des vers qui sont à la fois ces déserts, cette ombre, ce soir, ces parfums de nulle part. Il est des vers profonds comme des breuvages, lourds comme des nuées, il est des vers légers comme des larmes, troublants comme des miroirs...
p.87
Mais je parlais du bel canto. Qu'appelez-vous ainsi? me demande-ton. Ah, l'indéfinissalbe: ce qui dans les mots soudain a le goût noir des mûres, le déchirant d'une partance, la lueur de l'amour dans l'oeil mourant des femmes, l'inégalable des romances, de ce geste quand tu défais tes cheveux....à ceux qui se nourrissent d'abstractions, comment expliquer cette ivresse?
J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique
p.90
J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique

N'en déplaises aux hypocrites, et ce vers n'est pas de Baudelaire, comme il aurait pu, mais de Jean de La Fontaine, et il est extrait de ce livre que personne ne lit et qui s'appelle les Amours de Psyché, où il y a plusieurs vers peu connus qui n'auraient pas déparé d'autres poètes:
Orangers, arbres que j'adore
que vos parfums me semblent doux
(...)
Le dieu qu'on nomme Amour n'est pas exempt d'aimer
(...)
Le myrte par qui sont les amants couronnés
(...)
ce qui servait de prix dans les jeux olympiques
n'est que toi proprement, divine volupté
chap Juin 1946 p.94 (château de brume)
Spoiler
La poésie est le miroir brouillé de notre société. Et chaque poète souffle sur ce miroir: son haleine différemment l'embue. C'est une époque de coalitions et de schismes. D'enthousiasmes et de peurs. L'homme s'essaye à chanter, et soi-même épouvante des échos éveillés. Peut-être sommes-nous trop mêles à cet instant de l'homme, pour le comprendre, pour en dégager la loi. Il nous faut prendre comme un fait le bariolage des techniques poétiques, l'habit d'Arlequin des faiseurs de nuages. C'est un signe. Et qui traduit des phénomènes mal connus, en eux-mêmes difficilement saisissables. Comme l'ombre du passant, lyrique, amplifiée, trahit parfois sur le mur ses intimes incompréhensibles pensées cachées.
p.116
L'exilé de novembre
Je pars. tes lents cheveux sanglotent sur mon âme,
et déjà tu me perds dans l'ombre, ô bien-aimée !
Qui donc est revenu jamais ? Un soir d'automne
une feuille tombée sur la vasque, ce cri
d'un pas sur le gravier des heures ! mais l'allée
s'éloigne, et le passant se hâte vers l'hiver.
Un piano désert joue longtemps dans la brume,
il pleut. J'enfonce mes épaules, je rabats
mon chapeau sur ces yeux où s'éteint un novembre
transi de larmes, ton visage.
Glisse, loin
glisse vers les retour éternel où se fondent
les départs sans espoir de retour, les adieux
jetés dans le brouillard suprême des années
et qui trente ans après sonnent toujours, là-bas.
Pierre Emmanuel (1916-1984)

Je ne sais, si les amateurs de poèmes éprouveront comme moi, ce qu'il y a de singulier, de maudit suivant le goût qui prédomine, dans ce poème-là. Il devrait pour eux être une difficulté. il n'est généralement pas permis au poète moderne de parler comme l'éxilé de Novembre. On sait ce qu'il en a coûté à Henry Bataille, et la parenté qu'ici à dessein j'établis, qu'elle fasse après tout glapir. Elle existe, et pas seulement ici (un piano désert joue longtemps dans la brume), mais dans tel vers de Pied-à-terre (...dans le miroir sans tain de la chambre d'hôtel) ou Eurydice des trottoirs (l'âme frileuse comme un parc abandonné...) Il y a au moins trois poètes dans l'Emmanuel que nous connaissons. Il serait arbitraire de préjuger lequel sur les autres triomphera, mais il me paraît que de toutes les aventures poétiques, celle de l'auteur de tristesse ô ma patrie est peut-être celle qui nous réserve le plus de surprises. De surprises qui sont de l'homme autant que du poète, et qui se devineraient peut-être moins dans ses paroles que dans la musique qu'elle font.
chap Août 1946
Spoiler
p.129
Et la mode est le contraire du modernisme, qui nous fait, pour des raisons que nous saisissons mal, rire de ce qui a été moderne, un chapeau, un poème démodé. Il se passe dans le domaine de la poésie exactement ce nous voyons se produire pour l'ameublement ou l'habillement. (...) Le modernisme d'Henry Bataille, si ovus voulez bien le replacer dans son temps, est précisément ce que tous les tenants de la poésie intemporelle, ont combattu et combattent encore. C'est la réalité dans les vers. Grave et puissante conspiration du goût. Il lui faut cinquante ans et bien des opérations pour le rendre pudique, comme les statues qu'on habille, pour lui faire avaler Rimbaud. (...) Bataille, il a comme personne parlé des trains, 20 ans avant Apollinaire:
les trains rêvent dans la rosée au fond des gares...
ils rêvent des heures, puis grincent et démarrent...
j'aime les trains mouillés qui passent dans les champs...
C'est chez Bataille qu'apparaissent pour la première fois le téléphone, et la lampe électrique:
La lampe a le feu fixe et figé des planètes
et la flamme rigide est là qui me regarde
avec un oeil d'éternité
chap Septembre 1946
p.146
Spoiler
C'est que ni l'un ni l'autre ne prennent au sérieux ce bouquetier de cristal obscurci, qui n'est ni un symbole, ni un symptôme, ni une cheville. Mais un objet d'époque. Comme la poésie de Mallarmé en contient à revendre,. Elle a son précieux bazar, qui devient, les années passant, un musée. Instructif pour l'histoire et l'histoire des moeurs d'un temps donné, celui de Mallarmé. (...) tout est ici de style. D'un style qui touche à Baudelaire dans la nuit, à Apollinaire vers l'aurore. Et le bouquetier donc. On apprendrait plus de la poésie de Mallarmé à faire l'inventaire du mobilier qui s'y rencontre, à restituer à sa sensibilité son décor, les robes des femmes, le goût de l'éventail, les bijoux, les lampes de son temps _ qu'à s'acharner à comprendre le mot à mot, qui parfaitement établi, relève ensuite d'un simple et après? Il y aura dans l'avenir moins de différence pour les jeunes gens qui en rêveront entre Mallarmé et Maupassant, contemporains l'un de l'autre, qu'entre Mallarmé et Rimbaud qu'on marie si souvent.(...) Mais j'étais à dire une chose très simple: que Mallarmé, beaucoup de osn obscurité vient de ce que nous ne prenons pas ses mots au pied de la lettre, que nous en compliquons inutilement notre lecture, et qu'au fond, sa poésie est celle qui se comprend directement chez les peintres desquels il fut violemment influencé, Whistler et particulièrement Stevens, qui ne sont obscurs pour personne.p.154
C'est qu'alors les hommes auront cessé de voir le sens d'un poème dans le sens littéral des mots, qu'ils sauront intégrer ce sens littéral à l'époque où ces mots furent pensés, écrits, au décor du poète, à la société où il vivait, pour tout dire: à ses circonstances.
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illustration :) brise marine
un tableau de Whistler
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deux tableaux d'Alfred Stevens
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chap Novembre 1946
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p197
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Un des aspects les plus courants du rimbaldisme est l'utilisation de ce qu'écrit Rimbaud suivant l'usage médiéval de la Bible ou de Virgile: on ouvre au hasard Les illuminations, une saison ou la correspondance, et on tire des prophéties.
(j'essaie :): le faubourg, aussi élégant qu'une belle rue de Paris est favorisé d'un air de lumière.) dans la partie "acropole"
p.201
Si toutefois on tient à éclairer l'esthétique contemporaine avec la pensée de Rimbaud, ce n'est pas dans la lettre du voyant, qu'on entrouvera l'expression définitive, mais dans cette partie d'une saison qui s'apelle Alchimie du verbe.
p.203
L'alchimie du verbe est un texte essentiel, et dont il faut comprendre et accepter la leçon. Cette leçon, Rimbaud a voulu la réduire à une ligne qui suit six pages de decription de sa folie: "Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté."
chap Noél ou l'école buissonnière
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p.233
Mais il est une autre voie de la connaissance qui n'est pas du domaine pédagogique. Qui l'emprunterait systématiquement risquerait de n'achever jamais le programme, mènerait l'élève partout sauf où l'examen se passe. Sans doute, seule employée, elle ne ferait que des rêveurs ou des collecteurs d'autographes. elle n'exclut pas le froid enseignement, l'esprit de système. Elle les complète. Cette méthode va tout à rebours de la pédagogie: où celle-ci simplifie, elle semble à plaisir compliquer. Elle s'arrête au détail, elle perd de vue le paysage pour la fleur, elle saute les étapes, et dans tous les sens: elle revient à cloche pied en arrière, et suit la pierre d'une marelle hasardeuse. Elle est à l'école ce qu'est l'école buissonnière. Et qui pourrait dire si l'une peut se passer de l'autre? si l'on peut comprendre la poésie par la théorie seule ou sans la théorie? Mais qu'y puis-je? Je ne suis pas un pédagogue, et il me faut l'avouer: c'est à l'école buissonnière que je mène ceux qui me prête attention. (...) Le dessin anatomique néglige la chair et le sang, la carte géographique les détours, la végétation, l'inattendu des éclairages...Et que dire s'il s'agit non du corps mais de l'amour? non d'un département, mais d'une patrie? que dire s'il s'agit de la poésie?
p241
Je voudrais qu'ils lisent d'abord tout ce que j'ai lu, tout ce qui a fait que j'écris comme je le fais, et puis qu'ils viennent me retrouver. Parce-que le principal ennemi du chant, c'est l'ignorance. Et que la déification moderne du spontané, du primitif, de l'exaltation de la poésie ingénue, de l'originalité opposé à la connaissance ne sont qu'absurdes mensonges à la mode avec lesquels il faut en finir. Il y a une science de la poésie. Et même le rejet des techniques suppose cette science. Même cette fameuse dictée de l'inconscient, à quoi l'ayant découverte et pratiquée, certains voudraient borner la poésie, exactement comme ces gens pour lesquels il n'y avait plus de salut en dehors du sonnet.
p 246
Pour ma part, je pense que c'est précisément lorsque nous comprenons, par des voies qui ne sont pas nécessairement celles de la compréhension vulgaire, que commence la poésie. La poésie me fait atteindre plus directement la réalité, par une sorte de raccourci où surprend la clairière découverte. L'émotion poétique est le signe de la connaissance atteinte, de la conscience qui brûle les étapes. Et non pas le contraire. Le chant, qui est toujours nécessairement à la fois de l'oreille et du coeur, s'éveille précisément quand la musique et la voix se marient, quand il y a parfaite adéquation du fond et de la forme, quand cette prétendue subjectivité du poète fait écho à quelque chose en moi qui le lit, et donc devient une objectivité au sens propre du mot. Il y a chant quand le son émis éveille des harmoniques dans ce cristal à l'autre bout de la pièce, et qui comprend si bien, à qui ce son est si vraiment musique, qu'il s'en brise. C'est pourquoi je réclame à la poésie, claire ou non, des notes, des précisions historiques, qui loin de m'empêcher de rêver donnent à mon rêve l'immense champ de la réalité. C'est pourquoi je défends contre les amateurs d'ombres entretenues les éditions critiques des poètes contemporains. C'est pourquoi j'affirme que toute poésie, qu'on le veuille ou non, étant (comme dit goethe) de circonstances, il faut pour la comprendre lui rendre ses circonstances.
p.257
Mais, au delà de lapédagogie, au delà de tout ce qui peut s'apprendre de la poésie, le chant demeure. Le chant seul qui ne peut à rien se réduite. Ce mystère proprement dont Paulhan nous dit qu'il est, d'essence, mystérieux. La chant qui est à la fois la dignité et la réussite du poème. Le chant qui est la négation de la solitude poétique. Le chant qui est la communication de la poésie. Sa seule objectivité. Et qu'on regarde tout ce qui est dit dans ce livre, comme onfait une étoffe pour en voir le tissage: on verra que je n'ai pas eu d'autre objet que de ramener toute la poésie au chant. Que de vous mettre en face de ce seul mystère. De localiser ainsi, et là, le mystère de la poésie.
livre achevé dans tous les sens du termes

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audrey83
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Les Adieux et autres poèmes aux éditions nrf poésie gallimard

un recueil hanté par la peur et la douleur du funéraire, une prose anxieuse, le flip qui voudrait arrêter le temps et des hommages aux peintres

quelques extraits de poèmes

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l'an deux mille n'aura pas lieu
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p.30/31
Donnez-moi votre cathédrale où d'anciens échos sommeillent
à l'écart que j'y ramène l'insomnie et je délie l'ombre langue
et soit le murmure des péchés récents un cheval soudain
qu'on dessangle
et pleure la pierre à son gré sorte le sangl-
Ot de sa gangue
Ah donnez-moi votre cathédrale par la main comme une
fiancée
que j'y peigne le malheur sur la paille des chaises
la distraction des tout-petits dans la blondeur pâle des travées
la mémoire égrenant son chapelet de buis bleu le balbutiement
des litanies
de piliers en pilier avec une lenteur d'horloge la clarté peu à
peu qui change
j'entends tout bas la faux du temps passer dans les genoux
des anges
au-dessus de la chaire où si belles semblaient les manches
des mots
j'entends gémir au coeur de son mouchoir la veuve noire assise
aux pieds éclatants des promesses
j'entends l'orphée orphelin aux confins de l'enfer qui ne peut
se satisfaire d'une mort par vie
et me parvient par le porche parfois le rire insultant du crime
arpentant le parvis

Oh j'y vois trop clair dans toute chose oeil agile à trouer la
trame
Si vous me donnez l'ogive et l'architrave j'y
draperai les haillons de l'âme avec art que le regard en l'air
s'égare
si vous me donnez pour l'autel les vases d'or et le linge fin
des analogies
mieux que de vos lys muets je les ornerai de longs cris souples
et déchirants

p33/34
donnez-moi votre cathédrale où vous parlez si bien
qu'on pourrait croire en Dieu dans le parfum des phrases
et quand l'orateur est un autre à peine s'il
y paraît au costume au vocabulaire à l'emphase
à la nuance à la rime des drapeaux fermez
la porte il vient de là je ne sais quel courant d'air quelles
plaintes d'os brisés
ou peut-être n'est-ce qu'un grincement des gonds
de quoi trembles-tu vingtième siècle à cette heure des prodiges
fermez la porte ah fermez la porte vous dis-je

Une cathédrale, une cathédrale un théâtre appelez
cela du nom qu'il vous plaît mais qu'on me donne un refuge
une gare un abri contre cette louve en moi donnez-
moi n'importe quel hangar quel garage
quelle grange où ranger le blé blême de la peur avant la grêle
une cathédrale par pitié de ce qui demande à naître
une cathédrale pour mon royaume
pour ce royaume de misère en moi que je porte
ce royaume de spendeur en moi que je porte
comme un enfant craintivement qui commence à bouger
chant pour Slava
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p 133/134
champ de cigales quand
font l'amour tous ensemble
violons violents
et leurs jambes archets
le vieillard se souvient
du ravage que ce fut d'avoir vingt ans
et tout à coup au vain ravin de vivre
un vin de morsure et de cri
versé
tout à coup ta force affolée enfant que tu fus
ta lèvre ivre et l'éclat de cuivre enfin du plaisir

gémis gémis encore orgue de ma jeunesse
et bats tambour tant de fois tendu d'aimer
mon ventre bondissant
celui qui n'entend pas ce que je dis qu'il sorte
et s'en aille traîner son coeur sourd entre les murs souillés des ruelles

Moi je serai toujours le murmure immense de l'ancien concert
demeure de George Malkine (peintre)
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p.154
Y songeais-tu mais ces ruines par miracle debout
t'ont fait non pas le Palladio de ceux-là dont tu construisais la muette
métaphore mais bien plutôt le peintre des prisons mentales
p.155
Toutes les demeures peintes après tout
pour toi sont toujours la maison d'Usher
avant la chute Ainsi de l'homme
debout dans le secret de sa mort prochaine
qui sait miné d'un fleuve souterrain
ou rongé peu à peu par les vents et les oiseaux
ayant perdu ses dents ses tuiles
ses escaliers donnant sur rien faux ponts-levis
et déjà le matin plus personne ne vient
poser devant la porte une bouteille de lait
ô demeures demeures sans épaules
où s'appuyer ni béquilles
tenant debout parce-que c'est l'habitude
en ce peintre ainsi se sont réfugiés
qu'on ne les entende plus les cris d'Artaud
le songes de Hieronymus Bosch
et recommence le discours solitaire du Comte de
Lautréamont le compte à rebours de la mort
un coup de dés n'abolira jamais Mallarmé
dans ses murs où se poursuit le parler des étoiles
n'entrez pas dans la demeure d'Emily
Bronté car tous les vents de Hurle-Vent ici
jouent à chat perché dans les pièces
vides
et Rimbaud comme un poème qu'on s'est
refusé d'écrire
les maisons des musiciens jouent à bouche fermée
l'apocalypse selon Marc (Chagall XXV)
Spoiler
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p.221/222
Le peintre à quoi rêvait-il était-il à
ces visions depuis les temps anciens les temps d'au-delà
les temps destiné
lui qui semble
avoir pour coeur un violon des soirs de noces
dans un petit village prêt à s'endormir au bord de la nuit
céruléenne
la lune est déjà blanche mais il règne encore un peu de jour
sur
l'arbre en fleurs et les naseaux du cheval
ici ne
hennissent que des fleurs coupées dans les nues
un couple au-dessus du monde perpétue
la muette chanson d'aimer
peut-être
quelque part qui n'existe plus
un lieu de mots abandonnés au fonds d'anciens lexiques
peut-être était-il le peintre pour mettre
des bouquets maladroits dans un verre sur un meuble un
vase bleu
et rien d'autre sinon marcher au bord des toits ainsi qu'
une chanson

p226
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Marc patiemment peint la fin du monde
d'un beau rouge au dernier soleil horizontal
tant de petits villages sont sortis de ses mains
tant de bouquets couleur de fiançailles
tant d'acrobates sans le savoir
tant d'horloges


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