Vesperalÿs
-------------------------------------------------
-------------------------------------------------
L’avenir est noir comme l’or
Prenez soin du tygre qui dort.
Laissez donc rêver, lac étale
Ce fauve au crépuscule endormi
Son cœur alangui sous les étoiles
Garderait en lui la fl·âme de nos envies.
Vaste lac où le jour expire
L’onde ici reflète un ciel rance
Il y fait dangereusement beau (
Le soleil déserté soupire
Et irrigue nos pas de danses
Nous chantons au bal de notre insouciance
Et retrouvons les joies de notre enfance.
Le bonheur tombe sur le monde comme une fleur sur une tombe
À l’orée du grand soir, ce tygre d’or, assoupi
Sous sa robe de paille raffermie
Respire les vents secs, écoute les bruits
Et perçoit vaguement le trouble qui s’ensuit.
À force de raclures, à force de blessures,
Graves entailles sombres zébrant sa dorure,
Sa mâchoire se déchire, ses oreilles se dressent.
Les pelleteuses aux crissements mécaniques
Assaillissent son corps de leurs cinglantes presses.
Ces tristes vierges de fer aux dents métalliques
Creusent notre féline paresse, aiguisent nos peurs.
Notre tygre âprement râle après sa torpeur.
Vois comme il vire, vois comme il baille
Ressens son roulis, entends son soupir.
Vois comme il vire, vois comme il baille
Le fauve s’étire, c’est en nous qu’il grandit.
Le voilà qui se presse, le voilà qui se lève
Quel démon engourdi ose s’ébrouer ainsi
Si ce n’est au regret d’émerger de ses rêves ?
Le voilà qui se dresse, le voilà qui s’élève
Quel démon engourdi ose s’ébrouer ainsi
Si ce n’est au vouloir de rompre une trêve ?
Le vent gonfle ses oriflammes, l’œil est précis,
Le poil, frémissant, gorgé de flavescence
Se fige. Quel est ce silence du printemps ?
N’entendons-nous pas suffoquer la Massane dans l’indifférence ?
Ne voyons-nous pas sombrer l’Agly dans l’abîme du temps ?
L’impuissance tombe sur nos rondes comme la nuit s’égare sur le monde
Mais voilà que soudain, feu et flamme
Brillant, brûlant avec force et furie
C’est le grand incendie,
L’or crame et sang flamme !
Lac en fuite, paysage meurtri, la vie se flétrit
Raho !
Chaos ! Fracas !
Chaos ! Éclat !
Le Réart ressuscite ! monstrueux
Torrent d’un feu tempétueux !
Écoutez ce brasier rugissant
Cracher la puissance des dieux !
Sentez, des foyers bouillonnants,
Les rafles des griffes se fracasser, fatales !
Fuyez, pauvres fou·lles, la morsure des flots létale !
Chaos ! Fracas !
Chaos ! Éclat !
Réart, affreux effluent, trombe tumultueuse
Qui claque et craque de manière désastreuse !
Lac, âtre fiévreux crépitant sous la trempe des opprimés !
Redoutez leur grogne sévère, grande vague enflammée
Qui écume l’enfer et nous y enterre condamné·es.
Tygre ! Tygre ! Feu et flamme !
Brillant, brûlant au profond des soupirs de la nuit
Quelle main, quel œil inconscients
Ont pu façonner cet esprit défiant ?
Regardez-le !
Qui pourrait dire si ses yeux colère
S’imprègnent des flammes
Ou si eux-mêmes, grenats incendiaires,
Embrasent la campagne ?
Regardez-le !
Monstre resplendissant,
Il puisera dans nos cœurs incandescents
Les premières forces feutrées et fragiles
Pour faire front. Pareil aux bombardiers vrombissant,
Il domptera ces lames chaudement sanglantes
Qui surgissent violemment, indociles,
D’un bassin réduit à une ruine ardente.
Depuis l’étuve de ce lac perdu, sépulcral
Nous nous ferons écho anxieux, courage fébrile ;
Nous fondrons nos espoirs, nécessaires adieux,
Pour en imprégner ce fauve foisonnant de feu
Au son du feulement féroce de nos âmes férales
Raho !
Rugir noir ! Rugir fort ! Emplir les cieux écroulés
Rugir noir ! Rugir fort !
Puiser dans son être mort
Les grondements écoulés.
Combattant·es
Nous chevaucherons nos tygres enflammés
Ainsi que nous chevauchons la foudre, fou·lles et damné·es.
Chaque pas, chaque coup sur l’enclume de ce monde noyé
Sonnera le glas, ouvrira la voie
Nous chalouperons fiēr·es sacré·es tels les tygres de Pan Tang
Dans les flammes dansantes d’une forge éclatante.
Nous serons échos furieux d’un monde qui tangue
Sous les griffes consumées de nos luttes pantelantes.
Un regard innocent ne verrait ici que beauté,
Un regard avisé n’y verrait que danger.
Les plus beaux arbres que les flammes inondent
Forgent leur bois des ténèbres les plus profondes.
Les nuées tombent sur le monde
Comme la suie s’endort sur notre tombe
L’ombre du feu sacré baigne l’horizon.
Sur le corps noirci de nos révoltes
Ne reste que l’écume des flammes,
Cendres blanchies sur le pelage virevolte,
Obscur tableau éclairé du destin de nos âmes.
À l’aurore, tout est mort
Seul le tygre pleure encore,
Son ronronnement fêlé
Berce le monde à régénérer,
Il broie noir les horreurs
Des arbres décimés ;
Ses griffes s’enfoncent tels des plantoirs, là où le vivant gît.
Notre seule planète meurt
Et nos luttes parsemées
Portent en elles le tygre noir de la solastalgie.
Ô fauve farouche, de ses yeux affaiblis
Perlent les larmes de la mélancolie,
Chaude rosée dont le clapotis
Crépite encore fumant
Imprégnant le minéral
D’une colère sourde et tombale.
Comme le froid écumant de la pierre soulage !
Voici le deuil de nos anciens paysages,
Nous voici au seuil de faire renaître ombrage.
Si les flammes portent en elles la lumière,
L’obscurité seule en sublime les éclats révolutionnaires.
Nous plongerons dans l’outre-noir
Pour en exhumer la lumière
Reflets de l’invisible, reflets de l’espoir
Qui esquisse une fin à nos combats d’hier.
Nous apprivoiserons nos âmes
Si sombres ! pour les faire ressurgir
Sublimes ! au fil de l’eau et au fil de la lame
De la grande vague d’or calcinée. Agir !
Tygre ! Tygre ! Diamant noir des bois de la nuit,
Nous verserons coquelicots et églantines
Sur le cuir craquelé de son asphalte.
Nous ferons de son corps meurtri
Une source infinie de fertiles basaltes,
Et dans l’horizon nuitescent qui se construit
Serein·es, nous fleurirons le pelage du tygre
Le bonheur s’élève en ce monde
Comme une fleur jaillit depuis la tombe
Caresser à mains nues ce tiède terreau
Sauver les fleurs de jais du profond du néant
Afin d’y insuffler des essences de jade
Sentir battre le cœur du lac de la Raho
Et remplir d’espérances ce gouffre béant
Voilà du nouveau monde les premières barricades
Arborer nos esprits comme un feuillage épais
Dresser notre part animale en canopée
Pour l’endormir, épanchée sur cette litière
Faire couler dans nos veines la sève printanière
Et ramifier nos cœurs aux beautés floréales
Seront du nouveau monde, la phase germinale.
Dès lors, voilà ce que nous devrons garantir
À nos enfants né·es à la poussière de la nuit :
Nourrir
Un seul amour, un seul cœur, une seule santé
Unir
L’éphémère de l’homme et du monde l’éternité
Grandir
Comme des divinités en princes et princesses tygres
Agir
En toute action et réflexion avec bonté
Vivre
En n’oubliant jamais ce que savent les tygres
Vieillir
Offrant à leurs enfants la même volonté
Mourir
D’un seul amour, d’un seul cœur, d’une seule santé
Au sommeil du tygre, iels pourront cueillir
Le chant des oiseaux de paradis.
Chaque grain de cendre s’accomplira.
Sous le souffle des arbres qui inspirent,
Iels en cueilleront leurs baumes verdis
Et de leurs mains naîtra
Des forêts le sourire, aux bois du tygre.