Gérald Kierzek: «La stratégie du tout vaccinal est une erreur »
LE FIGARO. - Le gouvernement vient de franchir le cap du passe vaccinal. Cette mesure, selon vous, permettra-t-elle d'accélérer la troisième dose et endiguer la propagation du variant Omicron?
Gérald KIERZEK. - Le passe vaccinal n'a qu'un seul objectif, comme l'avait le passe sanitaire : pousser les Français à la vaccination, et force est de constater que cela a fonctionné. Il est donc probable qu'il va accélérer la troisième dose car les gens n'ont pas le choix. En revanche, le passe vaccinal, pas plus que la troisième (ni la quatrième ni les autres boosters) ne vont enrayer la « vague » Omicron. Il s'agit d'une vague de contaminations qui évolue pour son propre compte. Il est illusoire de vouloir arrêter les transmissions et aucune mesure décidée par l'Homme ne pourra éradiquer ce coronavirus. Le discours consistant à dire «vaccinez-vous et grâce à votre passe vivez normalement» ne tient pas sur le plan médical. Cette «sixième vague» en est la démonstration patente. Encore une fois, le vaccin protège des formes graves, les personnes les plus fragiles. Le généraliser et faire croire qu'il va nous sortir de la pandémie à coups de rappels itératifs est inexact ; même l'Organisation Mondiale de la Santé l'a rappelé récemment. La stratégie du «tout vaccinal» est une erreur stratégique sur un plan médical ; mieux vaux cibler les populations à risque. Ni la vaccination des enfants, ni une quatrième dose ne vont régler le problème, sauf à courir une fois de plus après le virus…
Les premières études montrent que le variant Omicron est plus contagieux mais moins létal que le variant Delta. Faut-il laisser circuler cette nouvelle souche au sein de la population pour atteindre l'immunité collective, malgré sa dangerosité ? Et, dans le même temps, faut-il concentrer nos efforts sur la vaccination ?
L'immunité collective dont on a beaucoup parlé est peut-être une chimère mais ce qui est sûr c'est que l'éradication virale ne pourra se faire que naturellement, grâce aussi à l'immunité naturelle. Omicron est probablement une chance et un tournant dans l'épidémie : il est plus contagieux et beaucoup moins létal. Les taux de contaminations sont impressionnants (près de 200.000 par jour en Angleterre) avec des hospitalisations et des décès assez faibles, en tout cas sans commune mesure avec la circulation virale. Les études sud-africaines montrent que 60 à 80% de la population présentent des anticorps et a donc été en contact avec le virus sans gravité ; les autorités y ont d'ailleurs relâché quasi toutes les mesures coercitives visant à contenir les citoyens et illusoirement le virus.
Ce variant devrait nous conduire à ne pas paniquer, profiter de sa circulation chez des sujets qui s'immunisent efficacement et durablement (enfants, adolescents, adultes sans facteurs de risque,…) et à protéger les plus fragiles (par la vaccination et en renforçant l'hôpital «au cas où»). On peut même s'interroger sur la pertinence des testings massifs. Tester est pertinent quand le virus est peu présent pour tracer et isoler ; ce n'est plus le cas et devient donc inefficace. Il est urgent de saisir cette chance et prendre ce virage dans la gestion de la pandémie plutôt que de s'affoler sur des compteurs de contaminations...
Dans ce cas, la vaccination obligatoire ne serait-elle pas plus efficace?
Ce n'est plus la solution ! D'abord, parce que le vaccin n'a toujours pas été actualisé et est efficace sur les souches initiales du virus et moins sur les variants. Ensuite, parce que le variant Omicron a changé la donne. Il donnerait considérablement moins de formes sévères et donc l'urgence à vacciner pour protéger des formes sévères s'éloigne. D'une stratégie de vaccination de masse, il faut enfin revenir à une vaccination à la carte, sur des critères médicaux et si possible avec un vaccin amélioré.
Je rappelle aussi le taux de mortalité global du Covid depuis le début de la pandémie et de l'ordre de 0,1%. Les coûts de la gestion de cette crise (tests, vaccins, aides...) auraient maintenant tout intérêt à être contenus voire être redirigés vers le renforcement du système de santé car c'est ce dernier qui a montré ses limites. La crise est avant tout structurelle et il est urgent d'anticiper le vieillissement de la population et sa vulnérabilité. Le COVID n'est que le révélateur de la fragilisation de nos systèmes, de notre état de santé et de nos mentalités. Revenons à la raison, sans peur.
Le premier ministre a annoncé le retour du masque « dans tous les centres-villes » où préfets et maires le jugent utile. Les bars et cafés restent ouverts, à condition d'y consommer assis et non plus debout. D'un point de vue scientifique, ces mesures sont-elles efficaces?
Le virus se transmet à l'intérieur, dans des lieux mal ventilés. Porter le masque à l'extérieur n'a pas de sens, et ne fait qu'agacer les Français. Certains préfets ou maires zélés vont le faire appliquer partout, sans intérêt scientifique évidemment. Ces mesures contribuent à un climat anxiogène, en laissant croire qu'on peut contrôler l'ennemi viral, ce qui est faux. La stratégie zéro Covid a fait long feu. Expliquons plutôt à la population quelles sont les mesures barrières efficaces (aération, masque à l'intérieur éventuellement,…) et surtout que la Covid est la résultante de la rencontre entre un virus et un hôte qui doit renforcer son immunité et lutter contre les facteurs de risque. Ce serait un programme politique ambitieux et positif plutôt que de jouer sur les peurs et donner la fausse impression que l'on protège les gens. Quant à la pérennisation du passe, elle ne peut que m'indigner sur le plan médical : comment accepter que des données médicales (statut vaccinal) permettent de mener ou non une vie sociale ou professionnelle ? quid du secret médical ? est-il acceptable de jeter l'opprobre sur une partie des citoyens (non-vaccinés) ? ces questions sont fondamentales dans une société démocratique et solidaire. Attention à ne pas les perdre de vue car encore une fois, ce virus, depuis le début et a fortiori ce variant, ne va pas décimer l'humanité et il faut arrêter de le traiter comme tel et diviser la société.
Selon vous, ces décisions sont-elles davantage politiques que scientifiques?
Les décisions sont évidemment politiques et heureusement. Le président de la République s'est depuis un an affranchi des scientifiques pour trouver une voie de sortie de crise ; le vaccin est sa sortie de crise médiatico-politique mais en réalité c'est omicron qui pourrait l'aider fortement avec un redémarrage du pays et un retour à une vie normale. Les conséquences psychologiques, sociales et économiques des discours alarmistes déconnectés de la réalité sanitaire sont terribles. Les collègues qui les tiennent ont pour autant raison car on ne peut nier les difficultés de l'hôpital et du système de santé. Je suis l'un des premiers à avoir alerté sur le sujet depuis des mois en pointant du doigt les insuffisances structurelles de notre pays (manque de lits et de soignants, gouvernance et financement hors sol,…). Il est plus que temps d'intégrer la santé dans la campagne présidentielle, avec une vision globale et de terrain.
https://www.lefigaro.fr/vox/societe/ger ... r-20211228