"Nous sommes tous un mélange de qualités et de défauts, d’ombre et de lumière. Sous l’emprise d’une paresse malveillante, il est sans doute plus facile de renoncer à devenir meilleur que de reconnaître l’existence de la bonté humaine et de faire des efforts pour la cultiver. C’est pourquoi, quand on est témoin de cette beauté, mieux vaut s’en inspirer que la dénigrer et faire de son mieux pour lui donner une plus grande place dans notre existence."
Matthieu Ricard - Plaidoyer pour l'altruisme, 2013.
Votre citation de l'instant
Nobody a écrit : ↑24 févr. 2022, 18:51 "Nous sommes tous un mélange de qualités et de défauts, d’ombre et de lumière. Sous l’emprise d’une paresse malveillante, il est sans doute plus facile de renoncer à devenir meilleur que de reconnaître l’existence de la bonté humaine et de faire des efforts pour la cultiver. C’est pourquoi, quand on est témoin de cette beauté, mieux vaut s’en inspirer que la dénigrer et faire de son mieux pour lui donner une plus grande place dans notre existence."
Matthieu Ricard - Plaidoyer pour l'altruisme, 2013.
La lutte elle-même suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
T'as pas compris ma blague toi--- a écrit : ↑25 févr. 2022, 00:20Nobody a écrit : ↑24 févr. 2022, 18:51 "Nous sommes tous un mélange de qualités et de défauts, d’ombre et de lumière. Sous l’emprise d’une paresse malveillante, il est sans doute plus facile de renoncer à devenir meilleur que de reconnaître l’existence de la bonté humaine et de faire des efforts pour la cultiver. C’est pourquoi, quand on est témoin de cette beauté, mieux vaut s’en inspirer que la dénigrer et faire de son mieux pour lui donner une plus grande place dans notre existence."
Matthieu Ricard - Plaidoyer pour l'altruisme, 2013.
"Le cynisme est un égotisme transcendant. L’égoïsme, l’égoïsme porté à l’absolu est, comme l’a très bien montré M. le Dr Tardieu, le principe métaphysique du cynisme. Le cynique ne prend rien au sérieux, si ce n’est toutefois son propre moi, son propre égoïsme. Ce dernier n’est pas pour lui une illusion, mais une réalité, la réalité par excellence, la seule réalité. Devant la ruine de tout le reste, le cynique a sur les lèvres le salut triomphant de Stirner : Bonjour, Moi ! L’ironiste, lui, ne prend pas son moi plus au sérieux que tout le reste. Il y a une ironie envers soi-même aussi sincère et aussi profonde, sinon davantage, que celle qui s’adresse à autrui et au monde. L’ironie recouvre un fond d’agnosticisme, une hésitation douloureuse et résignée, un inquiet pourquoi sur le fond des choses ; le doute même qu’il existe un fond des choses ; la question d’Hamlet : Être ou ne pas être ? Le cynisme est un état d’âme tranchant et simpliste. Il est une forme grossière du sentiment de l’absolu. L’ironisme est un état d’âme nuancé. Par le dédoublement, la Doppelgängerei qu’il implique, il est une forme du sentiment du relatif.
Le cynisme est la pente des natures vulgaires. Suivant la remarque du Dr Tardieu, il est le fait des sensuels, des égoïstes, des méchants, des ambitieux effrénés ou déçus, des lâches, des âmes de valets. Julien Sorel est un cynique plutôt qu’un ironiste. Le cynisme est une quintessence d’égoïsme qui suppose un manque de noblesse d’âme. L’ironie suppose une intelligence fine et nuancée, une grande délicatesse sentimentale, un raffinement de la sensibilité qui ne se rencontrent pas chez les êtres vulgairement et platement égoïstes.
Par là aussi l’ironie se distingue du rire. Le rire est vulgaire, plébéien. D’après Nietzsche, aucun geste de l’animal n’égale la vulgarité du rire humain. Cette observation est très juste. Il faut avoir vu le rire de certains hommes. — Le rire est grégaire, bestial. Il est le ricanement heureux des imbéciles triomphant de l’intelligence par un accident et un hasard. Le rire est l’arme des lâches coalitions grégaires. Le ridicule est une brimade sociale contre celui qui se trouve en contravention avec un préjugé et qui est jeté, par là même, en marge du troupeau. Ce qui fait l’infériorité intellectuelle du rire, c’est qu’il est toujours une manifestation sociale. L’ironie est au contraire un état d’âme individuel. Elle est la fleur de désillusion, la fleur funéraire qui fleurit dans le recueillement solitaire du moi."
(L’Ironie - Étude psychologique, Georges Palante)
Le cynisme est la pente des natures vulgaires. Suivant la remarque du Dr Tardieu, il est le fait des sensuels, des égoïstes, des méchants, des ambitieux effrénés ou déçus, des lâches, des âmes de valets. Julien Sorel est un cynique plutôt qu’un ironiste. Le cynisme est une quintessence d’égoïsme qui suppose un manque de noblesse d’âme. L’ironie suppose une intelligence fine et nuancée, une grande délicatesse sentimentale, un raffinement de la sensibilité qui ne se rencontrent pas chez les êtres vulgairement et platement égoïstes.
Par là aussi l’ironie se distingue du rire. Le rire est vulgaire, plébéien. D’après Nietzsche, aucun geste de l’animal n’égale la vulgarité du rire humain. Cette observation est très juste. Il faut avoir vu le rire de certains hommes. — Le rire est grégaire, bestial. Il est le ricanement heureux des imbéciles triomphant de l’intelligence par un accident et un hasard. Le rire est l’arme des lâches coalitions grégaires. Le ridicule est une brimade sociale contre celui qui se trouve en contravention avec un préjugé et qui est jeté, par là même, en marge du troupeau. Ce qui fait l’infériorité intellectuelle du rire, c’est qu’il est toujours une manifestation sociale. L’ironie est au contraire un état d’âme individuel. Elle est la fleur de désillusion, la fleur funéraire qui fleurit dans le recueillement solitaire du moi."
(L’Ironie - Étude psychologique, Georges Palante)
"""J’ai revu récemment à Berlin « L’homme à la caméra». C’est incroyable, la force de ce film, projeté comme ça dans un bar : les visages, la qualité des plans, la proximité des visages, la façon qu’ils sont presque comme penchés au dessus de la caméra, comme s’ils nous regardaient au dessus d’un puits. Qu’est que c’est que ça ? Pourquoi il a filmé ça comme ça ? On voit des centaines de plans de visages quand on regarde la télévision, quand on regarde les films, on voit chaque jour des centaines de plans de visages, mais il n’y a pas un visage qui reste, il ne sont pas finis, ils ne sont pas cadrés, il n’y a pas d’attention, celui qui filme ne s’engage pas, il engage rien dans ses relations, il pourrait filmer n’importe quoi, d’ailleurs il filme n’importe quoi. Mais quand on voit un visage par exemple, un visage de Vertov, il reste en mémoire, comme aussi les visages dans « L’évangile selon Saint Mathieu » de Pasolini, ces visages, ces plans de visages."""
Philippe Grandieux
Philippe Grandieux
le voyage dans le passé de Stefan Zweig
"Ils gravirent les hauteurs en silence. En contrebas, les maisons faiblement éclairées s'estompaient déjà; depuis le crépuscule de la vallée, la courbe du fleuve s'étirait, toujours plus lumineuse, tandis qu'en haut, les arbres embaumaient et que l'obscurité s'abattaient sur eux. Ils ne croisaient personne, seules leurs ombres glissaient en silence devant eux. Et chaque fois qu'un réverbère éclairait leurs silhouettes à l'oblique, leurs ombres se mêlaient, comme si elles s'embrassaient; elles s'allongeaient, comme aspirées l'une vers l'autre, deux corps formant une même silhouette, se détachaient encore, pour s'étreindre à nouveau, tandis qu'eux-mêmes marchaient las et distants. Il regardait, comme en exil, ce jeu étrange, la fuite suivie d'une étreinte sitôt défaîte de ces silhouettes sans âme, de ces corps ombreux, qui n'étaient pourtant que le reflet des leurs, il regardait avec une curiosité maladive se dérober et se rejoindre ces figures inconsistantes, et il en oubliait presque celle qui était bien vivante à côté de lui, au profit de son image noire, glissante et fuyante. Il ne pensait à rien de précis et sentait confusément que ce jeu cherchait à lui dire quelque chose de profondément enfoui en lui, comme une source, et qui jaillissait avec violence maintenant que le souvenir s'y aventurait, brusque et menaçant, pour aller y puiser. Mais qu'est-ce donc? Il se concentra, que cherchait à lui dire ces ombres qui cheminaient, dans ce bois qui s'endormait: ce devait être des paroles, une situation, une expérience vécue, entendue, ressentie, comme enveloppée dans une mélodie, une chose enfouie tout au fond de lui, qu'il n'avait pas perçu depuis des années. Et cela éclata soudain, éclair déchirant l'obscurité du souvenir: c'était bien des paroles, un poème qu'un soir elle lui avait lu dans sa chambre. Un poème, un poème français, il en connaissait chaque mot, et comme apportés par une vent brûlant, ils étaient là tout d'un coup sur ses lèvres, il entendit, à une décennie de distance, prononcés par sa voix à elle, ces vers oubliés d'un poème étranger:
dans le vieux parc solitaire et glacé, deux spectres cherchent le passé
Et à peine ces vers eurent-ils fusé dans sa mémoire, que toute la scène lui revint comme par magie: la lampe répandant sa lumière dorée dans le salon obscur, où un soir elle lui avait lu, ce poème, u ce poème de Verlaine. En la voyant obscurcie par l'ombre de la lampe, assise comme autrefois, proche et lointaine à la fois, aimée et inaccessible, il sentit tout d'un coup son coeur s'emballer, enthousiasmé d'entendre sa voix se moduler sur la vague sonore du vers, de l'entendre prononcer (même si ce n'était que dans un poème _ les mots "nostalgie" et "amour",), mots d'une langue étrangères certes, et destinés à des étrangers, mais néanmoins grisant, prononcés par cette voix, sa voix.
Comment avait-il pu oublier cela, pendant des années, ce poème, cette soirée où, seuls dans la maison, et troublés par cette solitude, ils avaient fui les périls de la conversation pour le terrain plus rassurant des livres, où, derrière les mots et la mélodie, avait parfois clairement brillé, comme une lueur dans des buissons, l'aveu d'un sentiment plus intime, étincelles insaisissables, qui, bien qu'évanescentes, les rendaient heureux. Comment avait-il pû oublier cela si longtemps? Mais aussi, comment était-il soudain revenu ce poème perdu? Sans réfléchir, il se traduisit ces vers. Et à peine se les était-il dits, qu'il les comprenait déjà, et qu'il en détenait la clé, lourde et scintillante, l'association d'idées qui soudain avait arraché, si net, si palpable, du fond d'un puits d'eau dormante, ce souvenir, précisément celui-ci: ces ombres, elles étaient là, sur le chemin, les ombres, qui avaient touché, réveillé les mots par elle prononcés, oui, mais bien plus encore. Et dans un frisson, il perçut soudain, effrayé, le sens de cette révélation; ces paroles étaient prémonitoires: n'étaient-ils pas eux-mêmes ces ombres qui cherchaient le passé et adressaient de sourdes questions à un autrefois qui n'existait plus, des ombres, des ombres qui voulaient devenir vivantes et n'y parvenaient plus, car ni elle ni lui n'étaient plus les mêmes et ils se cherchaient pourtant, en vain, se fuyant et s'immobilisant, efforts sans consistance et sans vigueur, comme ces noirs fantômes, devant eux? Il dut sursauter sans s'en rendre compte, car elle se retourna: "qu'-as-tu Louis? A quoi penses-tu?" Mais il éluda "rien, rien" Et il se contenta de plonger plus profondément en lui-même, dans cet autrefois: cette voix, la voix prémonitoire du souvenir, ne voulait-elle pas une fois encore lui parler et, grâce au passé, lui révéler le présent?"
Le rêve d'Emile Zola
"Les soirées suivantes, parmi les étoiles, elle vit paraître le mince croissant de lune nouvelle. Mais l'astre déclinait avec le jour finissant et s'en allait, derrière le comble de la cathédrale, pareil à un oeil de clarté vive que la paupière recouvre. Elle le suivait, le regardait s'élargir à chaque crépuscule, impatiente de ce flambeau, qui allait enfin éclairer l'invisible. Peu à peu, en effet, le Clos-Marie sortait de l'obscurité, avec les ruines de son vieux moulin, ses bouquets d'arbres, son ruisseau rapide. Et alors, dans la lumière, la création continua. Ce qui venait du rêve finit par prendre l'ombre d'un corps. Car elle aperçut d'abord qu'une ombre effacée se mouvant sous la lune. Qu'était-ce donc? L'ombre d'une branche balancée par le vent? Parfois, tout s'évanouissait, le champ dormait dans une immobilité de mort, elle croyait à une hallucination de sa vue. Puis, le doute ne fut plus possible, une tache sombre avait franchi un espace éclairé, se glissant d'un saule à l'autre. Elle la perdait, la retrouvait, sans jamais arriver à la définir. Un soir, elle crut reconnaître la fuite leste de deux épaules, et ses yeux se portèrent aussitôt sur le vitrail: il était grisâtre, comme vidé, éteint par la lune qui l'éclairait en plein. Dès ce moment, elle remarqua que l'ombre vivante s'allongeait, se rapprochait de sa fenêtre, gagnant toujours, de trous noirs en trous noirs, par mi les herbes, le long de l'église. A mesure qu'elle la devinait plus proche, une émotion grandissante l'envahissait, cette sensation nerveuse qu'on éprouve à être regardé par des yeux de mystère, qu'on ne voit point. Sûrement, un être qui était là, sous les feuilles, qui, regards levés, ne la quittait plus. Elle avait, sur les mains, sur le visage, l'impression physique de ces regards, longs, très doux, craintif aussi; elle ne s'y dérobait pas, parce-qu'elle les sentait purs, venus du monde enchanté de la Légende; et son anxiété première se changeait en un trouble délicieux dans sa certitude du bonheur. Une nuit, brusquement, sur la terre blanche de lune, l'ombre se dessina d'une ligne franche et nette, l'ombre d'un homme, qu'elle ne pouvait voir, caché derrière les saules. L'homme ne bougeait pas, elle regarda longtemps l'ombre immobile. (...) C'était une ombre compagne de la sienne, elle avait deux ombres, bien qu'elle fût seule avec son rêve.(...) Deux soirées s'étaient passées encore, lorsque, la troisième nuit, en venant s'accouder, Angélique reçut au coeur un choc violent. Là, dans la clarté vive, elle l'apperçut debout, tourné vers elle. Son ombre, ainsi que celle des arbres, s'était repliée sous ses pieds, avait disparu. Il n'y avait plus que lui, très clair. (...) Le prodige s'achevait enfin, la lente création de l'invisible aboutissait à cette apparition vivante.(...) Angélique le regardait toujours. Il leva les deux bras, les tendit, grands ouverts. Elle n'avait pas peur, elle lui souriait."
"Ils gravirent les hauteurs en silence. En contrebas, les maisons faiblement éclairées s'estompaient déjà; depuis le crépuscule de la vallée, la courbe du fleuve s'étirait, toujours plus lumineuse, tandis qu'en haut, les arbres embaumaient et que l'obscurité s'abattaient sur eux. Ils ne croisaient personne, seules leurs ombres glissaient en silence devant eux. Et chaque fois qu'un réverbère éclairait leurs silhouettes à l'oblique, leurs ombres se mêlaient, comme si elles s'embrassaient; elles s'allongeaient, comme aspirées l'une vers l'autre, deux corps formant une même silhouette, se détachaient encore, pour s'étreindre à nouveau, tandis qu'eux-mêmes marchaient las et distants. Il regardait, comme en exil, ce jeu étrange, la fuite suivie d'une étreinte sitôt défaîte de ces silhouettes sans âme, de ces corps ombreux, qui n'étaient pourtant que le reflet des leurs, il regardait avec une curiosité maladive se dérober et se rejoindre ces figures inconsistantes, et il en oubliait presque celle qui était bien vivante à côté de lui, au profit de son image noire, glissante et fuyante. Il ne pensait à rien de précis et sentait confusément que ce jeu cherchait à lui dire quelque chose de profondément enfoui en lui, comme une source, et qui jaillissait avec violence maintenant que le souvenir s'y aventurait, brusque et menaçant, pour aller y puiser. Mais qu'est-ce donc? Il se concentra, que cherchait à lui dire ces ombres qui cheminaient, dans ce bois qui s'endormait: ce devait être des paroles, une situation, une expérience vécue, entendue, ressentie, comme enveloppée dans une mélodie, une chose enfouie tout au fond de lui, qu'il n'avait pas perçu depuis des années. Et cela éclata soudain, éclair déchirant l'obscurité du souvenir: c'était bien des paroles, un poème qu'un soir elle lui avait lu dans sa chambre. Un poème, un poème français, il en connaissait chaque mot, et comme apportés par une vent brûlant, ils étaient là tout d'un coup sur ses lèvres, il entendit, à une décennie de distance, prononcés par sa voix à elle, ces vers oubliés d'un poème étranger:
dans le vieux parc solitaire et glacé, deux spectres cherchent le passé
Et à peine ces vers eurent-ils fusé dans sa mémoire, que toute la scène lui revint comme par magie: la lampe répandant sa lumière dorée dans le salon obscur, où un soir elle lui avait lu, ce poème, u ce poème de Verlaine. En la voyant obscurcie par l'ombre de la lampe, assise comme autrefois, proche et lointaine à la fois, aimée et inaccessible, il sentit tout d'un coup son coeur s'emballer, enthousiasmé d'entendre sa voix se moduler sur la vague sonore du vers, de l'entendre prononcer (même si ce n'était que dans un poème _ les mots "nostalgie" et "amour",), mots d'une langue étrangères certes, et destinés à des étrangers, mais néanmoins grisant, prononcés par cette voix, sa voix.
Comment avait-il pu oublier cela, pendant des années, ce poème, cette soirée où, seuls dans la maison, et troublés par cette solitude, ils avaient fui les périls de la conversation pour le terrain plus rassurant des livres, où, derrière les mots et la mélodie, avait parfois clairement brillé, comme une lueur dans des buissons, l'aveu d'un sentiment plus intime, étincelles insaisissables, qui, bien qu'évanescentes, les rendaient heureux. Comment avait-il pû oublier cela si longtemps? Mais aussi, comment était-il soudain revenu ce poème perdu? Sans réfléchir, il se traduisit ces vers. Et à peine se les était-il dits, qu'il les comprenait déjà, et qu'il en détenait la clé, lourde et scintillante, l'association d'idées qui soudain avait arraché, si net, si palpable, du fond d'un puits d'eau dormante, ce souvenir, précisément celui-ci: ces ombres, elles étaient là, sur le chemin, les ombres, qui avaient touché, réveillé les mots par elle prononcés, oui, mais bien plus encore. Et dans un frisson, il perçut soudain, effrayé, le sens de cette révélation; ces paroles étaient prémonitoires: n'étaient-ils pas eux-mêmes ces ombres qui cherchaient le passé et adressaient de sourdes questions à un autrefois qui n'existait plus, des ombres, des ombres qui voulaient devenir vivantes et n'y parvenaient plus, car ni elle ni lui n'étaient plus les mêmes et ils se cherchaient pourtant, en vain, se fuyant et s'immobilisant, efforts sans consistance et sans vigueur, comme ces noirs fantômes, devant eux? Il dut sursauter sans s'en rendre compte, car elle se retourna: "qu'-as-tu Louis? A quoi penses-tu?" Mais il éluda "rien, rien" Et il se contenta de plonger plus profondément en lui-même, dans cet autrefois: cette voix, la voix prémonitoire du souvenir, ne voulait-elle pas une fois encore lui parler et, grâce au passé, lui révéler le présent?"
Le rêve d'Emile Zola
"Les soirées suivantes, parmi les étoiles, elle vit paraître le mince croissant de lune nouvelle. Mais l'astre déclinait avec le jour finissant et s'en allait, derrière le comble de la cathédrale, pareil à un oeil de clarté vive que la paupière recouvre. Elle le suivait, le regardait s'élargir à chaque crépuscule, impatiente de ce flambeau, qui allait enfin éclairer l'invisible. Peu à peu, en effet, le Clos-Marie sortait de l'obscurité, avec les ruines de son vieux moulin, ses bouquets d'arbres, son ruisseau rapide. Et alors, dans la lumière, la création continua. Ce qui venait du rêve finit par prendre l'ombre d'un corps. Car elle aperçut d'abord qu'une ombre effacée se mouvant sous la lune. Qu'était-ce donc? L'ombre d'une branche balancée par le vent? Parfois, tout s'évanouissait, le champ dormait dans une immobilité de mort, elle croyait à une hallucination de sa vue. Puis, le doute ne fut plus possible, une tache sombre avait franchi un espace éclairé, se glissant d'un saule à l'autre. Elle la perdait, la retrouvait, sans jamais arriver à la définir. Un soir, elle crut reconnaître la fuite leste de deux épaules, et ses yeux se portèrent aussitôt sur le vitrail: il était grisâtre, comme vidé, éteint par la lune qui l'éclairait en plein. Dès ce moment, elle remarqua que l'ombre vivante s'allongeait, se rapprochait de sa fenêtre, gagnant toujours, de trous noirs en trous noirs, par mi les herbes, le long de l'église. A mesure qu'elle la devinait plus proche, une émotion grandissante l'envahissait, cette sensation nerveuse qu'on éprouve à être regardé par des yeux de mystère, qu'on ne voit point. Sûrement, un être qui était là, sous les feuilles, qui, regards levés, ne la quittait plus. Elle avait, sur les mains, sur le visage, l'impression physique de ces regards, longs, très doux, craintif aussi; elle ne s'y dérobait pas, parce-qu'elle les sentait purs, venus du monde enchanté de la Légende; et son anxiété première se changeait en un trouble délicieux dans sa certitude du bonheur. Une nuit, brusquement, sur la terre blanche de lune, l'ombre se dessina d'une ligne franche et nette, l'ombre d'un homme, qu'elle ne pouvait voir, caché derrière les saules. L'homme ne bougeait pas, elle regarda longtemps l'ombre immobile. (...) C'était une ombre compagne de la sienne, elle avait deux ombres, bien qu'elle fût seule avec son rêve.(...) Deux soirées s'étaient passées encore, lorsque, la troisième nuit, en venant s'accouder, Angélique reçut au coeur un choc violent. Là, dans la clarté vive, elle l'apperçut debout, tourné vers elle. Son ombre, ainsi que celle des arbres, s'était repliée sous ses pieds, avait disparu. Il n'y avait plus que lui, très clair. (...) Le prodige s'achevait enfin, la lente création de l'invisible aboutissait à cette apparition vivante.(...) Angélique le regardait toujours. Il leva les deux bras, les tendit, grands ouverts. Elle n'avait pas peur, elle lui souriait."
« Avant le soir, un homme mourut dans la grange. Très vite. Il échappa tout de suite aux doigts et ne laissa pas une seconde d’espoir. Puis une femme. Puis un autre homme qui faisait sans arrêt les cent pas, s’arrêta, se coucha dans la paille, se couvrit lentement le visage de ses mains. Les enfants se mirent à crier. « Faites taire ces enfants et écoutez-moi, dit Angélo. Approchez-vous. N’ayez pas peur. Vous voyez précisément que moi qui soigne les malades et qui les touche, je ne suis pas malade. Moi qui ai mangé un poulet entier, je ne suis pas malade et vous qui avez peur et vous méfiez de tout vous mourrez. Approchez-vous. Ce que je veux vous dire, je ne peux pas le crier par-dessus les toits. Il n’y a qu’un paysan qui nous garde. Dès qu’il commencera à faire nuit, je le désarmerai et nous partirons. Il vaut mieux risquer la vie sans passeport plutôt que de rester ici à attendre une billette qui ne sert à rien si on est mort. »
(Le hussard sur le toit, Jean Giono)
(Le hussard sur le toit, Jean Giono)
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- Inscription : 17 nov. 2019, 16:38
N.Chomsky a écrit :On avait parfaitement compris, longtemps avant George Orwell, qu’il fallait réprimer la mémoire. Et pas seulement la mémoire, mais aussi la conscience de ce qui se passe sous nos yeux, car, si la population comprend ce qu’on est en train de faire en son nom, il est probable qu’elle ne le permettra pas. C’est la raison principale de la propagande.
La leçon de l'aigle et du corbeau ...
Le seul oiseau qui ose s'attaquer à un aigle est le corbeau. Celui-ci se pose sur le dos de l'aigle et lui mord le cou. L'aigle ne réagit pas, il ne se bat pas avec le corbeau. Il ne gaspille pas son temps ni son énergie à lutter contre ce corbeau.
Au lieu de cela, il ouvre juste ses ailes en grand et commence à s'élever dans les airs, toujours plus haut dans le ciel.
Plus l'aigle s'élève, plus cela devient difficile pour le corbeau de respirer, et il finit par retomber, inconscient par manque d'oxygène.
Apprenez de l'aigle.
Ne luttez pas contre les corbeaux, contentez-vous juste de vous élever. Les corbeaux vont probablement s'accrocher et bientôt, ils vont retomber. Ne vous laissez pas distraire de votre mission... Gardez votre attention vers le haut, vers les buts au-delà du chemin qui y mène, persistez, tenez, apprenez, grandissez, élevez-vous, de plus en plus, et ignorer ces corbeaux juchés sur votre dos, qui tentent de vous énerver, de vous détourner de ce but ultime.
Chaque fois que quelque chose, quelqu'un vous énerve, vous déçoit, vous attaque, souvenez-vous de cette image, déployez vos ailes, et montez.
Ils ne pourront vous suivre.
Meduse a écrit : ↑03 mars 2022, 14:14La leçon de l'aigle et du corbeau ...
Le seul oiseau qui ose s'attaquer à un aigle est le corbeau. Celui-ci se pose sur le dos de l'aigle et lui mord le cou. L'aigle ne réagit pas, il ne se bat pas avec le corbeau. Il ne gaspille pas son temps ni son énergie à lutter contre ce corbeau.
Au lieu de cela, il ouvre juste ses ailes en grand et commence à s'élever dans les airs, toujours plus haut dans le ciel.
Plus l'aigle s'élève, plus cela devient difficile pour le corbeau de respirer, et il finit par retomber, inconscient par manque d'oxygène.
Apprenez de l'aigle.
Ne luttez pas contre les corbeaux, contentez-vous juste de vous élever. Les corbeaux vont probablement s'accrocher et bientôt, ils vont retomber. Ne vous laissez pas distraire de votre mission... Gardez votre attention vers le haut, vers les buts au-delà du chemin qui y mène, persistez, tenez, apprenez, grandissez, élevez-vous, de plus en plus, et ignorer ces corbeaux juchés sur votre dos, qui tentent de vous énerver, de vous détourner de ce but ultime.
Chaque fois que quelque chose, quelqu'un vous énerve, vous déçoit, vous attaque, souvenez-vous de cette image, déployez vos ailes, et montez.
Ils ne pourront vous suivre.
.Le monde ne tient debout que par la conspiration de l’amour. Tout ce qui fait du bruit autour de nous dans le vrombissement des actualités, délimite l’exact périmètre de ce qui n’est pas très important. Si la terre tourne, c’est grâce à ces milliers de gestes d’amour que font des milliers d’hommes et de femmes inconnus et qui renouvellent ce matin le pacte entre la terre et le ciel – malgré tout ! Chaque matin, les hommes et les femmes qui prennent soin de la parcelle du réel qui leur est confiée – leurs enfants, leurs jardins, leurs maisons, leurs enclaves, leurs lieux de travail, « sont en train de sauver le monde sans le savoir » ! (Borges).
Il n’y a qu’à poursuivre cette prodigieuse respiration de la vie – quoiqu’il advienne – jour après jour. Il n’y a qu’à continuer d’aimer de toutes les manières imaginables tout ce qui nous rencontre – sans nous lasser – sans espérance et sans désespérance – aimer seulement.
« Les gens me disent d’être sage. Toi tu me dis d’être fou ». Cette prière de Charles de Foucauld ne m’a jamais quittée. Je l’avais cousue, enfant, dans l’ourlet de ma jupe. Soyons fous. Soyons ces desesperados de l’espoir, ces chevaliers de l’impossible.
Tenter ce qui paraît impossible est la seule chose qui soit à ma mesure !
Laissons tout le reste aux fonctionnaires de l’ordre établi, aux comptables des petits gains, aux gardiens des petits cimetières. Ce n’est pas notre affaire ! Il n’y a rien à craindre : dans chaque regard que je rencontre, je perçois cette force intacte qui attend d’être reconnue pour surgir. Cette dimension rayonnante qui nous habite tous. Le monde rayonne. Le monde est sauvé depuis longtemps.
Que cette nouvelle traverse les murs des prisons ! Faisons œuvre de contagion
L’urgence d’aimer, Christiane Singer (Éd. Claire vision, 1997)
Meduse a écrit : ↑04 mars 2022, 13:35.Le monde ne tient debout que par la conspiration de l’amour. Tout ce qui fait du bruit autour de nous dans le vrombissement des actualités, délimite l’exact périmètre de ce qui n’est pas très important. Si la terre tourne, c’est grâce à ces milliers de gestes d’amour que font des milliers d’hommes et de femmes inconnus et qui renouvellent ce matin le pacte entre la terre et le ciel – malgré tout ! Chaque matin, les hommes et les femmes qui prennent soin de la parcelle du réel qui leur est confiée – leurs enfants, leurs jardins, leurs maisons, leurs enclaves, leurs lieux de travail, « sont en train de sauver le monde sans le savoir » ! (Borges).
Il n’y a qu’à poursuivre cette prodigieuse respiration de la vie – quoiqu’il advienne – jour après jour. Il n’y a qu’à continuer d’aimer de toutes les manières imaginables tout ce qui nous rencontre – sans nous lasser – sans espérance et sans désespérance – aimer seulement.
« Les gens me disent d’être sage. Toi tu me dis d’être fou ». Cette prière de Charles de Foucauld ne m’a jamais quittée. Je l’avais cousue, enfant, dans l’ourlet de ma jupe. Soyons fous. Soyons ces desesperados de l’espoir, ces chevaliers de l’impossible.
Tenter ce qui paraît impossible est la seule chose qui soit à ma mesure !
Laissons tout le reste aux fonctionnaires de l’ordre établi, aux comptables des petits gains, aux gardiens des petits cimetières. Ce n’est pas notre affaire ! Il n’y a rien à craindre : dans chaque regard que je rencontre, je perçois cette force intacte qui attend d’être reconnue pour surgir. Cette dimension rayonnante qui nous habite tous. Le monde rayonne. Le monde est sauvé depuis longtemps.
Que cette nouvelle traverse les murs des prisons ! Faisons œuvre de contagion
L’urgence d’aimer, Christiane Singer (Éd. Claire vision, 1997)
Singer grande écriture, son livre "une passion: entre ciel et chair" un de mes livres préférés. Et son "éloge du mariage, de l'engagement et autres folies", est pas mal du tout, encourageant .
Une citation de son livre intitulé: "Où cours-tu? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi?"
"Attardons-nous un instant à la naissance de l'amour, quand la déflagration de la foudre a évidé les troncs, et que face à face il n'y a personne (ou mieux il y a personne; per sonare: ce qui souffle à travers). Il y a la vie à travers laquelle le vent souffle. Aussi longtemps que sous l'effet de la surprise, de l'effroi et de la suffocation, nous restons vides, l'amour est là. Cela peut durer un instant ou des heures, des jours, des mois _ voire des années pour les virtuoses de l'amour aussi rares que les grands musiciens virtuoses, ces êtres qui s'esquivent quand la musique entre! Ainsi tout se passe comme si l'amour cherchait pour déployer ses merveilles de vastes étendues vides. Sous sa déflagration, l'espace est vidé _ le saisissement qui seul livre à l'arraché la perspective éblouissante du réel. L'amour roule ses vagues sur les plages immenses et vides que sont alors devenus l'homme et la femme. L'homme et la femme visités. Si le premier écueil est de se prendre pour celui qui est aimé et le second de croire reconnaître en l'autre la personne que j'aime, c'est que la rencontre a en vérité lieu ailleurs. Ce ne sont plus deux êtres qui se retrouvent face à face avec leur histoire et le bataillon de mercenaires qui les constituent (soient les mille aspects de leur personnalité réciproque) mais deux espaces abolis_ deux corps de résonance, deux corps conducteurs. Une double absence claire et lumineuse dans laquelle la Présence s'est engouffrée."
Une autre trop longue à retaper pour cette fin de semaine fatigante, une autre fois dans le topic spiritualité car la plume de Singer a une aura spirituelle. En résumé dans celle-ci: "Ce que toutes les cosmogonies des grandes religions illustrent et que la physique quantique a mis en évidence, c'est qu'une partie de l'univers est (dans) celui qui l'observe."
- goelandfou
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La boucle d'oreille réagit :
- Tu as vue Miss gourmette avec sa pince de homard, elle se prend pour qui ?
Chantal Blanchet
L'ours en cage ne peut que satisfaire l'ambition aventureuse des faibles, tandis que le cerf sauvage évoque une liberté et une vigueur pénétrantes
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