Damien et Zola

Analyse stylistique, références, que nous cache son Art ?
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Digitalis a écrit : 03 nov. 2020, 10:05 ok ! et on l'invoque comment CellarDoor ?
Faut consulter la bonne page du Pseudomonarchia daemonum

Ou comme ça @CellarDoor
La lutte elle-même suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
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CellarDoor
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Digitalis a écrit : 03 nov. 2020, 10:05
Nobody a écrit : 03 nov. 2020, 06:14
Digitalis a écrit : 02 nov. 2020, 15:40 C'est possible de renommer ce topic genre "Damien et Zola" ???
C'est possible faut juste que CellarDoor s'en occupe !
ok ! et on l'invoque comment CellarDoor ? :laughing: ou ton message du dessus va suffire ? (je ne maitrise pas bien les fonctionnalités du forum o_O )
En principe il faut dire son nom 3 fois en tournant sur soi-même devant un miroir, mais cette fois ça suffira ;)
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Digitalis
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Parmi les différents liens que je fais entre des chansons de Damien et des livres de Zola, il y en a un que le joli texte d'Ellenaelk (et surtout sa chute) a réactivité : En bords de Seine et l'Oeuvre.
Nous étions deux amis je crois
Ou peut-être un peu plus que ça
En bords de Seine
Il faut voir comment se promènent
Les sanglots longs puis les je t’aime
En bords de scène
...Deux amis qui se baladaient en bord de Seine...  
Claude et Christine, arpentant les quais et les ponts, à l'aube puis au crépuscule de leur amour...
(ou aussi Claude et Pierre, deux amis, comme deux frères, arpentant les bords de Seine à l'espoir et au désespoir de leur art...)
Peut-être un jour tu reviendras
Si un jour tu passais par là
En bords de Seine
Et est-ce que tu te souviendras
De nous deux là, et puis de moi
En bords de scène
Je promène et tu n’es pas là
Mes tristes joies, mes tristes joies
Mes jours de peine
Tu sais j’ai dû penser mille fois
A m’y jeter oui dans les bras
Des bords de Seine.
...Après quelques mois de lune de miel à Bennecourt, village de bord de Seine, Claude l'abandonne progressivement pour son obsession pour Son œuvre. Elle espère le récupérer face à cette femme sur cette toile, qu'elle jalouse de prendre son mari. Elle le ramène à Bennecourt, sur les bord de Seine où leur amour est né, espérant le faire renaître. Mais lui n'a la tête que dans son œuvre...

Les bateaux vont, les bateaux viennent
Et les souvenirs me reviennent
En bords de scène
Quel lieu commun d’y dire qu’on s’aime
Mais dieu que c’est beau tout de même
Les bords de Seine
En baladant son amour désespéré sur les bord de Seine, elle croise des amoureux qui marchent dans leurs pas, et se remémore sa propre histoire..

L'Oeuvre est un roman sur l'artiste et son art. Zola parlant de son livre : «Avec Claude Lantier, je veux peindre la lutte de l'artiste contre la nature, l'effort de la création
dans l'oeuvre d'art, effort de sang et de larmes pour donner sa chair, faire de la vie : toujours en bataille avec le vrai et toujours vaincu, la lutte contre l'ange. En un mot, j'y raconterai ma vie entière de production, ce perpétuel accouchement si douloureux ; mais je grandirai le sujet par le drame, par
Claude qui ne se contente jamais, qui s'exaspère de ne pouvoir accoucher son génie et qui se tue à la fin devant son oeuvre irréalisée


J'interprète les paroles en replaçant Damien dans son art : les concerts / "la scène" , les bateaux qui vont et qui viennent / nous..
Du Pont Neuf ou de Normandie
Du port du Havre ou de Paris
Les bords de Seine
C’est toujours la mélancolie
C’est toujours Châtillon quand même
Les bords de Seine
Ça renvoit à Damien et ses chansons, son histoire ?
Faut voir un peu comme on y traîne
Puis faut voir comme on y prie
Qu’un jour reviennent
Les mots tendres et puis les maudits
Et puis tous les mots qu’on se dit
En bords de scène
Et moi j’ai jeté mon empire
J’ai tout vendu pour te les écrire
Mes bords de Seine
Christine se sacrifiant pour Claude, malgré tout ce qu'elle se prend dans la gueule, leurs disputes, sa solitude etc...Christine a quitté une vie "facile" et tracée pour le suivre, dans une vie misérable et seule.

... Et les textes de Damien et le sacrifice de l'artiste. Dans l'Oeuvre Zola fait l'apologie du travail, du sacrifice de la vie pour «accoucher son œuvre avec les fers»
Du haut d’un pont pour s’y enfuir
Au fond de l’eau pour s’endormir
Puis sur des scènes
On se dit s’aimer à mourir
Comment la vie vous fait mentir
En bords de scène
Claude passe une nuit sur un pont, prêt à se jeter, ne trouvant pas le plein air idéal à peindre. Christine l'observait de loin, rongée par l'amour et la peur qu'il saute.

Je voulais simplement te dire
Que moi j’ai gardé ton sourire
Mon bord de scène
Et puis si mes yeux font que fuir
Et puis si la vie fait mentir
Mes bords de scène
Que même quand on est prêt au pire
Que parfois la vie peut tenir
à un bord de scène
Un passant qui vous fait sourire
A un souvenir qui vient vous le dire
Son bord de scène
ah ! la vie, la vie…

S'ils ont eu raison de nous, Damien qui voulait tout arrêter, et un concert qui le fait changer d'avis?
On se dit des mots tendres on s’y met à genoux
Quand le cœur est à prendre quand il pleure sur les joues
Il ne faut pas méprendre il faut juste se prendre
savoir en faire des reines sur les bords de Seine
Puis c’est la vie qui passe puis c’est la vie qui fuit
C’est l’amour qui se casse quand c’est toi qui t’enfuis
Quand se posent la nuit les mots doux qu’on se dit
Aux odeurs de la pluie de quand toi t’es partie
... Dernière nuit d'amour au parfum de retrouvailles, avant la pendaison de Claude un matin d'hiver pluvieux.
Les amoureux s’en vont les amoureux s’en viennent
Nous marchons sur le pont quand soudain me reviennent
En bruine sur les joues de ce trop vieux poème
Qu'on se murmure au cou que c’est beau tout de même.
Ils sont tristes à mourir mais ils ont des je t’aime
Je crois à faire rougir le noir des chrysanthèmes
Je revois ton sourire j'’attends que quelqu’un vienne
Des mots d’amours me dire sur les bords de la Seine
Y a pas les grands navires mais y a l’amour empire
des silences pour écrire les choses qu’on n’ose dire
de ceux-là qui escomptaient y prendre un bateau
Et quand la marée monte c’est aux yeux des sanglots
Christine qui attend désespérément qu'il revienne vers elle, qu'il se détourne de cette obsession de création, pensant que l'amour vaut tous ses sacrifices.
C’est pas le Pont des arts c’est celui des soupirs
Sur des ponts neufs trop vieux qui n’ont plus rien à dire
Quelles que soient les guerres sous les lunes en sourire
Je crois qu’ici la mer jamais ne se retire
Les amoureux s’en vont les amoureux s’en viennent
Nous marchons sur le pont quand soudain me reviennent
Les marées sur les joues les parfums des je t’aime
Tout ce qu’on s’était dit sur le bord de la scène
Sur le bord de la scène
L'art, source de souffrance, de désillusion ? L'oeuvre offre une vision très pessimiste de l'art (entre celui qui perce mais en bafouant ses idéaux, entre celui qui perce en sacrifiant toute sa vie, celui qui se tue préférant son rêve à la réalité, celui qui a tout raté etc).

Soupirs face à l'art qui n'en est pas ? Pour Zola, et il le crie dans ce livre, est un artiste celui qui renouvelle notre regard sur le monde.
Dernière modification par Digitalis le 13 déc. 2021, 14:27, modifié 1 fois.
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Merci @Digitalis, très intéressant.
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Éos
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Merci @Digitalis pour ces parallèles et analyses ! Tellement de discussions que j’étais bêtement passée à côté de celle là…
Damien et Zola, moi ça m’évoque directement Germaiiiiiiiine !
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Digitalis
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Éos a écrit : 12 janv. 2022, 22:09 Merci Digitalis pour ces parallèles et analyses ! Tellement de discussions que j’étais bêtement passée à côté de celle là…
Damien et Zola, moi ça m’évoque directement Germaiiiiiiiine !

Complètement d'accord avec toi. Comme un gros air d'Anna Coupeau! Tu me devances, c'est le prochain de ma liste à mettre ici, il me reste à reprendre l'Assommoir pour prendre des extraits illustrant les idées. Pour Nana c'est déjà fait. Bientôt :bear1:
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Éos
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Je pensais aussi à Nana 😉 Hâte de te lire !
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Digitalis
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Germaine, dans mes connexions neuronales, c'est l'Anna Coupeau de Zola (dans l'Assommoir, et surtout dans Nana) ré-ancrée dans le 21ème siècle, comme une populaire de "(Dans) la salle du bar tabac de la rue des Martyrs".

Zola, au sujet de Nana : "Le sujet philosophique est celui-ci : toute une société se ruant sur le cul. Une meute derrière une chienne qui n'est pas en chaleur et qui se moque des chiens qui la suivent. Le poème des désirs du mâle, le grand levier qui remue le monde. Il n'y a que le cul et la religion. "

L'Assommoir a été décrit comme une poésie lugubre d'un Paris ignoré, portant le nom d'un cabaret de bas étage de Belleville où le peuple boit des liquides frelatés qui le tue, tentative d'évasion de la fatalité et du désespoir. C’est la société rongée par l'alcool et la misère.


Nana est la fille de Gervaise Macquart, biberonnée à l'anisette (lignée marquée par l’alcoolisme... Zola et sa théorie de l'hérédité) et de Coupeau, qui sombre dans l'alcoolisme. Nana fuit ce domicile de misère, d'alcool, de violence et de folie et survit en se prostituant. À seize ans, elle a un enfant de père inconnu. Pour Zola et son déterminisme socio-biologique, Nana ne peut ainsi qu'être, fatalement, misère et pourriture.

" l’histoire d’une fille, née de quatre ou cinq générations d’ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson, qui se transformait chez elle en un détraquement nerveux de son sexe de femme. Elle avait poussé dans un faubourg, sur le pavé parisien ; et, grande, belle, de chair superbe ainsi qu’une plante de plein fumier, elle vengeait les gueux et les abandonnés dont elle était le produit. Avec elle, la pourriture qu’on laissait fermenter dans le peuple remontait et pourrissait l’aristocratie. Elle devenait une force de la nature, un ferment de destruction, sans le vouloir elle-même, corrompant et désorganisant Paris entre ses cuisses de neige, le faisant tourner comme des femmes, chaque mois, font tourner le lait. Et c’était à la fin de l’article que se trouvait la comparaison de la mouche, une mouche couleur de soleil, envolée de l’ordure, une mouche qui prenait la mort sur les charognes tolérées le long des chemins, et qui, bourdonnante, dansante, jetant un éclat de pierreries, empoisonnait les hommes rien qu’à se poser sur eux, dans les palais où elle entrait par les fenêtres."

Qu'elle enquille les whiskys, ouais putain laisse tomber
Quand le fond des pupilles pue l'alcool à plein nez
Les pupilles, symbole de l'hérédité d'alcoolisme de la famille Macquart (déterminisme zolien).
Elle est comme une étoile, ouais qui s'rait mal lunée
Expression "être né sous la bonne/mauvaise étoile" ou "être bien astré", et ça renvoie à l'histoire de vie malchanceuse et miséreuse de Nana dès son enfance.

Dans ces deux livres (surtout dans Nana, mais l’Assommoir raconte la jeunesse et les débuts de Nana sur les trottoirs), Zola oppose les courtisanes et les prostituées. La finalité étant la même, les formes diffèrent selon la classe sociale. Nana commence sa vie en se prostituant par obligation, pour survivre, aux dépens des clients. La prostituée est populaire. Elle doit aussi se cacher des flics (dans un chapitre, Satin raconte à Nana comment les flics les tabassent) ou chercher des clients « utiles », pas forcément de par leurs finances mais du fait de leur pouvoir, qui permet de s’éviter des problèmes avec la loi. Elle devient ensuite courtisane, vénérée à telle point que les hommes viennent à elle, versus la prostituée qui va aux hommes. Elle peut alors ouvertement mépriser ses amants. La courtisane est bourgeoise, ne courant pas de risques, protégée par les sommités qu’elle fréquente.
Zola décrit ainsi la débauche et la dépravation d'une société mondaine crachant sur les mœurs jugés indécentes et immorales du milieu populaire, qui sont in fine similaires.

"Elle avait bien un peu peur, car les plus comme il faut étaient les plus sales. Tout le vernis craquait, la bête se montrait, exigeante dans ses goûts monstrueux, raffinant sa perversion. Aussi cette roulure de Satin manquait-elle de respect, s'éclatant devant la dignité des gens en voiture, disant que leurs cochers étaient plus gentils, parce qu'ils respectaient les femmes et qu'ils ne les tuaient pas avec des idées de l'autre monde. La culbute des gens chics dans la crapule du vice surprenait encore Nana, qui gardait des préjugés, dont Satin la débarrassait. Alors, comme elle le disait, lorsqu'elle causait gravement, il n'y avait donc plus de vertu? Du haut en bas, on se roulait. Eh bien! ça devait être du propre, dans Paris, de neuf heures du soir à trois heures du matin; et elle rigolait, elle criait que, si l'on avait pu voir dans toutes les chambres, on aurait assisté à quelque chose de drôle, le petit monde s'en donnant par-dessus les oreilles, et pas mal de grands personnages, çà et là, le nez enfoncé dans la cochonnerie plus profondément que les autres. Ça complétait son éducation."

Quand y a son cœur qui bat, quand elle est trop bourrée
Qu'elle te prend par le bras juste pour aller danser
Nana, dans sa jeunesse, s’est enfuie du foyer familial où ses parents la tabassaient, elle passe ses soirées dans les bastringues et à rouler les rues.

" Mais ils n’apercevaient toujours que ce chapeau, dansant un chahut de tous les diables, cabriolant, tourbillonnant, plongeant et jaillissant. Ils le perdaient parmi la débandade enragée des têtes, et ils le retrouvaient, se balançant au-dessus des autres, d’une effronterie si drôle, que les gens, autour d’eux, rigolaient, rien qu’à regarder ce chapeau danser, sans savoir ce qu’il y avait dessous.
— Eh bien ? demanda Coupeau.
— Tu ne reconnais pas ce chignon-là ? murmura Gervaise, étranglée. Ma tête à couper que c’est elle !
Le zingueur, d’une poussée, écarta la foule. Nom de Dieu ! oui, c’était Nana ! Et dans une jolie toilette encore ! Elle n’avait plus sur le derrière qu’une vieille robe de soie, toute poissée d’avoir essuyé les tables des caboulots, et dont les volants arrachés dégobillaient de partout. Avec ça, en taille, sans un bout de châle sur les épaules, montrant son corsage nu aux boutonnières craquées. Dire que cette gueuse-là avait eu un vieux rempli d’attentions, et qu’elle en était tombée à ce point, pour suivre quelque marlou qui devait la battre ! N’importe, elle restait joliment fraîche et friande, ébouriffée comme un caniche, et le bec rose sous son grand coquin de chapeau.
— Attends, je vais te la faire danser ! reprit Coupeau.
Nana ne se méfiait pas, naturellement. Elle se tortillait, fallait voir ! Et des coups de derrière à gauche, et des coups de derrière à droite, des révérences qui la cassaient en deux, des battements de pieds jetés dans la figure de son cavalier, comme si elle allait se fendre ! On faisait cercle, on l’applaudissait ; et, lancée, elle ramassait ses jupes, les retroussait jusqu’aux genoux, toute secouée par le branle du chahut, fouettée et tournant pareille à une toupie, s’abattant sur le plancher dans de grands écarts qui l’aplatissaient, puis reprenant une petite danse modeste, avec un roulement de hanches et de gorge d’un chic épatant. C’était à l’emporter dans un coin pour la manger de caresses. […] Nana, précisément, s’en allait à reculons, balayant le parquet avec ses plumes, arrondissant son postérieur et lui donnant de petites secousses, pour que ce fût plus gentil. " L'assommoir

" Nana roulait le quartier. […] Nana allumait tous les bals des environs. On la connaissait de la Reine-Blanche au Grand Salon de la Folie. Quand elle entrait à l’Élysée-Montmartre, on montait sur les tables pour lui voir faire, à la pastourelle, l’écrevisse qui renifle. Comme on l’avait flanquée deux fois dehors, au Château-Rouge, elle rôdait seulement devant la porte, en attendant des personnes de sa connaissance. La Boule-Noire, sur le boulevard, et le Grand-Turc, rue des Poissonniers, étaient des salles comme il faut où elle allait lorsqu’elle avait du linge. Mais, de tous les bastringues du quartier, elle préférait encore le Bal de l’Ermitage, dans une cour humide, et le Bal Robert, impasse du Cadran, deux infectes petites salles éclairées par une demi-douzaine de quinquets, tenues à la papa, tous contents et tous libres, si bien qu’on laissait les cavaliers et leurs dames s’embrasser au fond, sans les déranger. " l'Assommoir

Elle elle met pas d'tissu sur sa gueule pour s'cacher
Non elle elle a pas b'soin de voiler la vérité
On retrouve souvent des descriptions de Nana nue, ou peu vêtue, laissant apparaître ses formes, sa féminité, libre et fière. Au tout début, elle a conquis l'assemblée masculine en costume de Vénus et non avec ses talents de comédienne.

"Nana ne bougea plus. Un bras derrière la nuque, une main prise dans l’autre, elle renversait la tête, les coudes écartés. Il voyait en raccourci ses yeux demi-clos, sa bouche entrouverte, son visage noyé d’un rire amoureux ; et, par derrière, son chignon de cheveux jaunes dénoué lui couvrait le dos d’un poil de lionne. Ployée et le flanc tendu, elle montrait les reins solides, la gorge dure d’une guerrière, aux muscles forts sous le grain satiné de la peau. Une ligne fine, à peine ondée par l’épaule et la hanche, filait d’un de ses coudes à son pied. Muffat suivait ce profil si tendre, ces fuites de chair blonde se noyant dans des lueurs dorées, ces rondeurs où la flamme des bougies mettait des reflets de soie. Il songeait à son ancienne horreur de la femme, au monstre de l’Écriture, lubrique, sentant le fauve. Nana était toute velue, un duvet de rousse faisait de son corps un velours ; tandis que, dans sa croupe et ses cuisses de cavale, dans les renflements charnus creusés de plis profonds, qui donnaient au sexe le voile troublant de leur ombre, il y avait de la bête. C’était la bête d’or, inconsciente comme une force, et dont l’odeur seule gâtait le monde."
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Vénus d'Urbin. Titien
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Olympia. Manet
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Paul Cezanne. Leda au cygne
Elle est comme une étoile, ouais qui s'rait mal lunée
Dans la pièce de théâtre initiale qui la fait connaître, elle apparaît pour la toute première fois en chantant "Lorsque Vénus rôde le soir".
C’est une étoile au théâtre (qui a mauvais caractère avec ses amants par la suite).

"Un frisson remua la salle. Nana était nue. Elle était nue avec une tranquille audace, certaine de la toute-puissance de sa chair. Une simple gaze l’enveloppait ; ses épaules rondes, sa gorge d’amazone dont les pointes roses se tenaient levées et rigides comme des lances, ses larges hanches qui roulaient dans un balancement voluptueux, ses cuisses de blonde grasse, tout son corps se devinait, se voyait sous le tissu léger, d’une blancheur d’écume. C’était Vénus naissant des flots, n’ayant pour voile que ses cheveux. Et, lorsque Nana levait les bras, on apercevait, aux feux de la rampe, les poils d’or de ses aisselles. Il n’y eut pas d’applaudissements. Personne ne riait plus, les faces des hommes, sérieuses, se tendaient, avec le nez aminci, la bouche irritée et sans salive. Un vent semblait avoir passé, très doux, chargé d’une sourde menace. Tout d’un coup, dans la bonne enfant, la femme se dressait, inquiétante, apportant le coup de folie de son sexe, ouvrant l’inconnu du désir. "

"digne de la toute-puissance de son sexe, et où elle l’étalait à cette heure même, découvert, dans une religieuse impudeur d’idole redoutée. Et, près d’elle, sous le reflet de neige de sa gorge, au milieu de son triomphe de déesse "

La naissance de Vénus. Botticelli.jpg
La naissance de Vénus. Botticelli
Le soir quand il est tard, elle dit qu'elle veut plus m'voir
Qu'elle m'laisse seul dans mon froc le poignet désespoir
Qu'elle m'laisse comme un crevard qui sait même plus crever
Moi j'ai beau aboyer comme un loup mal luné
Le comte Muffat, haut placé de l'Empire, décrit comme un homme prude et pieux, richissime, qui désire Nana à en devenir fou. Après qu’elle l'ait fait poireauter plusieurs mois, il vient la voir plusieurs soirs de suite, le désir à son acmé, repartant plusieurs fois la queue entre les jambes.

"Depuis trois mois, elle le faisait poser, jouant à la femme comme il faut, afin de l’allumer davantage. Eh bien ! il poserait encore, il s’en irait, si ça ne lui plaisait pas. " […]". Le comte Muffat venait tous les soirs, et s’en retournait, la face gonflée, les mains brûlantes. "
Qui s'rait passé du loup au p'tit clébard dressé
Ouais vas-y retiens-moi, un jour j'vais la frapper
Quand elle me fait ramper, comme un chien à ses pieds
Quand elle me fait pleurer, j'sais qu'ça la fait mouiller
Muffat est dévoué à Nana, qu’elle ne cesse d’humilier et de faire souffrir. Au début, il pose ses règles (il lui offre sa fortune pour qu'elle soit sa maîtresse, à la seule condition qu’elle lui soit fidèle), puis il finit par tout accepter, pour qu'elle le garde, honteux, culpabilisant, espérant mourir plutôt que de rester dans cette situation de souffrance. Il est chasseur devenu proie.
Il souffre de voir défiler les hommes et les femmes autour de Nana.

" Je parie que tu ne fais pas l'ours comme moi […] Il riait, il se mettait aussi à quatre pattes, grognait, lui mordait les mollets […] Mais ces petits jeux se gâtèrent bientôt. Ce ne fut pas cruauté chez elle, car elle demeurait bonne fille ; ce fut comme un vent de démence qui passa et grandit peu à peu dans la chambre close. Une luxure les détraquait, les jetait aux imaginations délirantes de la chair. Les anciennes épouvantes dévotes de leur nuit d'insomnie tournaient maintenant en une soif de bestialité, une fureur de se mettre à quatre pattes, de grogner et de mordre. Puis, un jour, comme il faisait l'ours, elle le poussa si rudement, qu'il tomba contre un meuble ; et elle éclata d'un rire involontaire, en lui voyant une bosse au front. Dès lors, mise en goût par son essai sur La Faloise, elle le traita en animal, le fouailla, le poursuivit à coups de pied.
— Hue donc ! hue donc ! Tu es le cheval… Dia, hue ! sale rosse, veux-tu marcher !
D'autres fois, il était un chien. Elle lui jetait son mouchoir parfumé au bout de la pièce, et il devait courir le ramasser avec les dents, en se traînant sur les mains et les genoux.
— Rapporte, César !… Attends, je vais te régaler, si tu flânes ! Très bien, César ! obéissant ! gentil ! Fais le beau !
Et lui aimait sa bassesse, goûtait la jouissance d'être une brute. Il aspirait encore à descendre, il criait :
— Tape plus fort… Hou ! hou ! je suis enragé, tape donc !"

Pornokratès. Rops.jpg
Pornokratès. Rops
Elle est mon p'tit vin blanc
[…]
Quand elle me met des baffes aux milieux des troquets
Puis qu'elle r'vient m'insulter juste pour me voir prier
J'dois vraiment être taré, j'dois vraiment être cinglé
Quand moi j'en finis pas toujours d'en r'demander
Nana est une addiction pour Muffat. « ça fait du mal, ça fait du bien », et il y revient sans cesse.

"Quand il arrivait maussade, elle l’égayait, puis le conseillait, après l’avoir confessé. "
Quand elle me fait cocu, qu'elle m'dit me fait pas chier
Elle elle a juste besoin d'sentir son cœur brûler

Elle couche avec les filles, 'vec tout c'qu'on peut p'loter
Elle couche avec les mecs autant qu'ça peut s'tirer
Elle couche sûr avec toutes les brebis égarées
Elle elle pourrait baiser l'univers tout entier
Nana ne cherchera jamais à tenir sa promesse de fidélité et fera venir son cortège d'amants dans la maison de Muffat où elle habite. Lui, forcé d’accéder ses requêtes et caprices, car elle lui dit que s'il n'accepte pas, elle se barre, et c'est ce qu'il redoute le plus.

"Un matin qu’il vit sortir Foucarmont de chez elle, à une heure singulière, il lui fit une scène. Du coup, elle se fâcha, fatiguée de sa jalousie. Déjà, plusieurs fois, elle s’était montrée gentille. Ainsi, le soir où il l’avait surprise avec Georges, elle était revenue la première, avouant ses torts, le comblant de caresses et de mots aimables, pour lui faire avaler ça. Mais, à la fin, il l’assommait avec son entêtement à ne pas comprendre les femmes ; et elle fut brutale.
— Eh bien ! oui, j’ai couché avec Foucarmont. Après ?… Hein ? ça te défrise, mon petit mufe !
C’était la première fois qu’elle lui jetait « mon petit mufe » à la figure. Il restait suffoqué par la carrure de son aveu ; et, comme il serrait les poings, elle marcha vers lui, le regarda en face.
— En voilà assez, hein ?… Si ça ne te convient pas, tu vas me faire le plaisir de sortir… Je ne veux pas que tu cries chez moi… Mets bien dans ta caboche que j’entends être libre. Quand un homme me plaît, je couche avec. Parfaitement, c’est comme ça… Et il faut te décider tout de suite : oui ou non, tu peux sortir."

" Nana trompait Satin comme elle trompait le comte, s'engageant dans des toquades monstrueuses, ramassant des filles au coin des bornes"

" Et ce dont il agonisait surtout, c’était des continuelles infidélités de cette femme, ne pouvant se faire au partage, ne comprenant pas ses caprices imbéciles. Lui, souhaitait un amour éternel, toujours le même. Cependant, elle avait juré, et il la payait pour ça. Mais il la sentait menteuse, incapable de se garder, se donnant aux amis, aux passants, en bonne bête née pour vivre sans chemise."

J'sais qu'ça la fait trinquer à fout' des dérouillées
Sûr à tous les piliers de tous les bars clandés
Qu'on dirait un tonneau qui sait même plus rouler
Quand elle dit qu'elle veut s'battre puis qu'elle s'met à chialer
Elle dirige sa vie comme elle l’entend, sauf dans un passage où après une nuit de baise, elle pleure, angoissant de l’Enfer qui l’attend, désespérée.

(Un tonneau désigne aussi une personne dépensière. Nana fait raquer tous les hommes à ses pieds, claquant leur argent à tout va, se moquant pas mal de leur situation et de l'argent qui lui est offert. A tel point qu’à la fin, elle croule sous les dettes.)

" La chambre, faiblement éclairée par une lampe, sommeillait, chaude et toute moite d’une odeur d’amour, avec les pâleurs vagues de ses meubles de laque blanche, incrustée d’argent. Un rideau rabattu noyait le lit d’un flot d’ombre. Il y eut un soupir, puis un baiser coupa le silence, et Nana, glissant des couvertures, resta un instant assise au bord des draps, les jambes nues. Le comte, la tête retombée sur l’oreiller, demeurait dans le noir.
— Chéri, tu crois au bon Dieu ? demanda-t-elle après un moment de réflexion, la face grave, envahie d’une épouvante religieuse, au sortir des bras de son amant.
Depuis le matin, elle se plaignait d’un malaise, et toutes ses idées bêtes, comme elle disait, des idées de mort et d’enfer, la travaillaient sourdement. C’était parfois, chez elle, des nuits où des peurs d’enfant, des imaginations atroces la secouaient de cauchemars, les yeux ouverts. Elle reprit :
— Hein ? penses-tu que j’irai au ciel ?
Et elle avait un frisson, tandis que le comte, surpris de ces questions singulières en un pareil moment, sentait s’éveiller ses remords de catholique. Mais, la chemise glissée des épaules, les cheveux dénoués, elle se rabattit sur sa poitrine, en sanglotant, en se cramponnant.
— J’ai peur de mourir… J’ai peur de mourir…"

Même quand elle a trop bu, elle est pas d'celles qu'on vend
Quels que soient les billets, elle, on peut pas l'ach'ter

Germaine!
Elle a sur son épaule tatoué liberté
Quand elle se torche à la gnôle tu la verrais s'marrer
Elle est tout c'que leur fric pourra jamais s'payer
Nana choisit ses amants, ses nuits. Elle se fout des mecs plein de thune, préférant ses "amants de cœur". Muffat et les autres cherchent à l'acheter pour l'avoir à leurs côtés, à la payer pour la posséder (l’épouser). Même croulant sous les dettes, elle refuse de se vendre pour les payer, préférant s'enfuir pour une idylle avec Fantan. Elle refuse d’être vue comme un objet, objet de désir que les hommes convoitent.

"Puis, les liaisons d’une nuit, des passades continuelles dont elle-même chaque matin perdait le souvenir, la promenaient dans les grands restaurants, souvent à Madrid, par les beaux jours. Le personnel des ambassades défilait, elle dînait avec Lucy Stewart, Caroline Héquet, Maria Blond, en compagnie de messieurs écorchant le français, payant pour être amusés, les prenant à la soirée avec ordre d’être drôles, si blasés et si vides, qu’ils ne les touchaient même pas. Et elles appelaient ça « aller à la rigolade », elles rentraient, heureuses de leurs dédains, finir la nuit aux bras de quelque amant de cœur. !"

"Quand elle rentrait en voiture, elle s’amourachait parfois d’un souillon aperçu sur le pavé, les sens pris, l’imagination lâchée ; et elle faisait monter le souillon, le payait et le renvoyait."

" C'est drôle, les hommes riches s'imaginent qu'ils peuvent tout avoir pour leur argent... Eh bien, et si je ne veux pas?... Je me fiche de tes cadeaux. Tu me donnerais Paris, ce serait non, toujours non... Vois-tu, ce n'est guère propre ici. Eh bien, je trouverais ça très gentil, si ça me plaisait d'y vivre avec toi ; tandis qu'on crève dans tes palais, si le coeur n'y est pas... Ah ! l'argent ! mon pauvre chien, je l'ai quelque part ! Vois-tu, je danse dessus, l'argent ! je crache dessus"

"- Jamais! déclara Nana, révoltée. Eh bien! ils sont propres, les fournisseurs! Est-ce qu'ils croient que je suis à vendre, pour acquitter leurs mémoires!... Vois-tu, j'aimerais mieux mourir de faim que de tromper Fontan."

" si ça te convient pas, tu vas me faire le plaisir de sortir... Je ne veux pas que tu cries chez moi... Mets toi bien dans ta caboche que j'entends être libre. Quand un homme me plaît, je couche avec. Parfaitement, c'est comme ça. "

"Ce fut l’époque de son existence où Nana éclaira Paris d’un redoublement de splendeur. Elle grandit encore à l’horizon du vice, elle domina la ville de l’insolence affichée de son luxe, de son mépris de l’argent, qui lui faisait fondre publiquement les fortunes. Dans son hôtel, il y avait comme un éclat de forge. Ses continuels désirs y flambaient, un petit souffle de ses lèvres changeait l’or en une cendre fine que le vent balayait à chaque heure. Jamais on n’avait vu une pareille rage de dépense. L’hôtel semblait bâti sur un gouffre, les hommes avec leurs biens, leurs corps, jusqu’à leurs noms, s’y engloutissaient, sans laisser la trace d’un peu de poussière. "

La Germaine!
Elle veut pas d'mot d'amour, elle veut juste un p'tit jour
Qu'on l'enlève au matin d'la laideur des faubourgs
Qu'on l'enlève à la vie des destins mal écrits
Elle ne veut pas se marier, à plusieurs reprises, elle refuse d’être enfermée dans cette prison patriarcale, elle veut rester libre, profiter de ses désirs, de ses nuits, de l'argent de ses amants. Nana possède tous les hommes sur qui elle jette son dévolu, mais aucun homme ne peut la posséder pour lui-même. Nana n'est pas une femme docile et obéissante, elle domine ses amants. Nana, c’est la femme fragile, sensible, indépendante, puissante, dominante et sûre d’elle à la fois, qui décide de prendre le pouvoir de son corps, de ses actes et de sa vie.

"-Moi t’épouser !… Ah bien ! si cette idée me tourmentait, il y a longtemps que j’aurais trouvé un époux ! Et un homme qui te vaudrait vingt fois, mon petit… J’ai reçu un tas de propositions. Tiens ! compte avec moi : Philippe, Georges, Foucarmont, Steiner, ça fait quatre, sans les autres que tu ne connais pas… C’est comme leur refrain à tous. Je ne peux pas être gentille, ils se mettent aussitôt à chanter : Veux-tu m’épouser, veux-tu m’épouser…
Elle se montait. Puis, elle éclata avec une belle indignation :
-Eh ! non, je ne veux pas !… Est-ce que je suis faite pour cette machine ? Regarde-moi un peu, je ne serais plus Nana, si je me collais un homme sur le dos… Et, d’ailleurs, c’est trop sale…
Et elle crachait, elle avait un hoquet de dégoût, comme si elle avait vu s’élargir sous elle la saleté de toute la terre."


Elle rejette aussi le mariage car la seule fois qu’elle aime un homme (Fantan) et qu’elle se met vraiment avec, il finit par la battre, la tromper et la mettre à la porte, la rejetant dans la misère initiale (passage où elle se laisse complètement dominer par un homme, aveuglée par l’amour)
Qui parle comme de la merde, ouais juste pour te faire chier
Qui dit qu't'en as dans l'froc autant qu'un lévrier
Qu'elle enquille les whiskys, ouais putain laisse tomber
Quand le fond des pupilles pue l'alcool à plein nez

Quand elle me met des baffes aux milieux des troquets
Puis qu'elle r'vient m'insulter juste pour me voir prier
J'dois vraiment être taré, j'dois vraiment être cinglé
Quand moi j'en finis pas toujours d'en r'demander

Elle a l'cœur féminisme à la façon grand-mère
Celles qui tenaient les hommes qui partaient à la guerre
Muffat et ses autres amants sont dominés, humiliés, insultés, frappés par Nana. Pour autant, ils n'arrivent pas à décrocher. Elle a prit possession des hommes, les méprise et les utilise pour ses désirs de sexe et d’argent.

"Maintenant, c’était sa façon de l’attacher davantage ; pour un rien, à la moindre querelle, elle lui mettait le marché en main, avec des réflexions abominables. Ah bien ! elle trouverait toujours mieux que lui, elle avait l’embarras du choix ; on ramassait des hommes dehors, tant qu’on en voulait, et des hommes moins godiches, dont le sang bouillait dans les veines. Il baissait la tête, il attendait des heures plus douces, lorsqu’elle avait un besoin d’argent ; alors, elle se faisait caressante, et il oubliait, une nuit de tendresse compensait les tortures de toute une semaine."

"Dehors, parfois, au grand air de la rue, il pleurait de honte et de révolte, en jurant de ne jamais y rentrer. Et, dès que la portière retombait, il était repris, il se sentait fondre à la tiédeur de la pièce, la chair pénétrée d’un parfum, envahie d’un désir voluptueux d’anéantissement. Lui, dévot, habitué aux extases des chapelles riches, retrouvait exactement ses sensations de croyant, lorsque, agenouillé sous un vitrail, il succombait à l’ivresse des orgues et des encensoirs. La femme le possédait avec le despotisme jaloux d’un Dieu de colère, le terrifiant, lui donnant des secondes de joie aiguës comme des spasmes, pour des heures d’affreux tourments, des visions d’enfer et d’éternels supplices. C’étaient les mêmes balbutiements, les mêmes prières et les mêmes désespoirs, surtout les mêmes humilités d’une créature maudite, écrasée sous la boue de son origine. Ses désirs d’homme, ses besoins d’une âme, se confondaient, semblaient monter, du fond obscur de son être, ainsi qu’un seul épanouissement du tronc de la vie. Il s’abandonnait à la force de l’amour et de la foi, dont le double levier soulève le monde. Et toujours, malgré les luttes de sa raison, cette chambre de Nana le frappait de folie, il disparaissait en grelottant dans la toute-puissance du sexe, comme il s’évanouissait devant l’inconnu du vaste ciel."

"Mais comme elle le criait en se tapant sur les cuisses, elle aurait eu beau lui cracher à la figure, il serait resté en disant merci"

"Le soir même, elle lui donna un soufflet, puis continua de le battre, trouvant ça drôle, heureuse de montrer combien les hommes étaient lâches. Elle l'appelait son tiroir à claques, lui disait d'avancer pour recevoir sa gifle […] La faloise riait de son air crevé, avec des larmes dans les yeux. Cette familiarité l'enchantait, il la trouvait épatante."

"Peu à peu, Nana avait pris possession du public, et maintenant chaque homme la subissait. Le rut qui montait d'elle, ainsi que d'une bête en folie, s'était épandu toujours davantage, emplissant la salle. À cette heure, ses moindres mouvements soufflaient le désir, elle retournait la chair d'un geste de son petit doigt. Des dos s'arrondissaient, vibrant comme si des archets invisibles se fussent promenés sur les muscles, des nuques montraient des poils follets qui s'envolaient, sous des haleines tièdes et errantes, venues on ne savait de quelle bouche de femme."

Elle dit qu'elle croit en rien, qu'les verres sur les comptoirs
Qu'elle elle a pas d'destin que de sortir le soir
Qu'd'aller traîner la nuit, d'aller traîner les bars
Quand elle fait peine à voir, ouais ressers-lui à boire
Pour survivre à la misère dans laquelle elle retombe (après son idylle désastreuse avec Fantan), qui lui colle à la peau, qui ne peut être que son avenir, elle retourne rouler les rues, n’ayant d’autre choix pour survivre.

"A cette heure, Nana, très tourmentée, n'était guère à la rigolade. Il lui fallait de l'argent. Quand la Tricon n'avait pas besoin d'elle, ce qui arrivait trop souvent, elle ne savait où donner de son corps. Alors, c'était avec Satin des sorties enragées sur le pavé de Paris, dans ce vice d'en bas qui rôde le long des ruelles boueuses, sous la clarté trouble du gaz. Nana retourna dans les bastringues de barrière, où elle avait fait sauter ses premiers jupons sales; elle revit les coins noirs des boulevards extérieurs, les bornes sur lesquelles des hommes, à quinze ans, l'embrassaient, lorsque son père la cherchait pour lui enlever le derrière. Toutes deux couraient, faisaient les bals et les cafés d'un quartier, grimpant des escaliers humides de crachats et de bière renversée; ou bien elles marchaient doucement, elles remontaient les rues, se plantaient debout, contre les portes cochères. Satin, qui avait débuté au quartier Latin, y conduisit Nana, à Bullier et dans les brasseries du boulevard Saint-Michel. Mais les vacances arrivaient, le quartier sentait trop la dèche. Et elles revenaient toujours aux grands boulevards. C'était encore là qu'elles avaient le plus de chance. Des hauteurs de Montmartre au plateau de l'Observatoire, elles battaient ainsi la ville entière. Soirées de pluie où les bottines s'éculaient, soirées chaudes qui collaient les corsages sur la peau, longues factions, promenades sans fin, bousculades et querelles, brutalités dernières d'un passant emmené dans quelque garni borgne et redescendant les marches grasses avec des jurons […] jusqu'à onze heures, parmi les heurts de la foule, elles restaient gaies, jetant simplement un "sale mufe! " de loin en loin, derrière le dos des maladroits dont le talon leur arrachait un volant; elles échangeaient de petits saluts familiers avec des garçons de café, s'arrêtaient à causer devant une table, acceptaient des consommations, qu'elles buvaient lentement, en personnes heureuses de s'asseoir, pour attendre la sortie des théâtres. Mais, à mesure que la nuit s'avançait, si elles n'avaient pas fait un ou deux voyages rue La Rochefoucauld, elles tournaient à la sale garce, leur chasse devenait plus âpre. Il y avait, au pied des arbres, le long des boulevards assombris qui se vidaient, des marchandages féroces, des gros mots et des coups; pendant que d'honnêtes familles, le père, la mère et les filles, habitués à ces rencontres, passaient tranquillement, sans presser le pas. Puis, après être allées dix fois de l'Opéra au Gymnase, Nana et Satin, lorsque décidément les hommes se dégageaient et filaient plus vite, dans l'obscurité croissante, s'en tenaient aux trottoirs de la rue du Faubourg-Montmartre. Là, jusqu'à deux heures, des restaurants, des brasseries, des charcutiers flambaient, tout un grondement de femmes s'entêtait sur la porte des cafés; dernier coin allumé et vivant du Paris nocturne, dernier marché ouvert aux accords d'une nuit, où les affaires se traitaient parmi les groupes, crûment, d'un bout de la rue à l'autre, comme dans le corridor largement ouvert d'une maison publique. Et, les soirs où elles revenaient à vide, elles se disputaient entre elles. La rue Notre-Dame-de-Lorette s'étendait noire et déserte, des ombres de femmes se traînaient; c'était la rentrée attardée du quartier, les pauvres filles exaspérées d'une nuit de chômage, s'obstinant, discutant encore d'une voix enrouée avec quelque ivrogne perdu, qu'elles retenaient à l'angle de la rue Bréda ou de la rue Fontaine."

Elle a les yeux d'un roi
La reine des écorchés
Nana domine le monde bourgeois masculin, elle, reine des miséreux, à l'histoire de vie misérable.
Germaine, comme Nana, c’est la femme pleinement en charge de sa sexualité, maîtrisant les hommes qui sont censés avoir le contrôle sur elle, dans la société patriarcale contemporaine.
Germaine!
C'est la fureur de vivre, c'est la fureur d'aimer
Comme une envie d'mourir juste pour exister
Comme une envie d'frapper, comme une envie d'violer
La mort, petite ou "classique", un des doubles-sens profus chez Damien.

"Le cul dans toute sa puissance, le cul sur un autel et tous sacrifiant devant. Il faut que le livre soit le poème du cul, et la moralité sera le cul faisant tout tourner. […] En un mot, la vraie fille. Ne pas la faire spirituelle, ce qui serait une faute ; elle n’est que la chair, mais la chair avec toute sa grâce. Et bonne fille, je le répète." Zola, Notes préparatoires aux Rougon-Macquart

" Dans son mépris de ces cochons, comme elles les nommait, elle ne pouvait pourtant rester le cœur libre, ayant toujours quelques amants de cœur sous ses jupes, roulant aux béguines inexplicables, aux goûts pervers des lassitudes de son corps"

"C'était des abandons brusques, derrière son dos, du plaisir pris dans tous les coins, vivement, en chemise ou en grande toilette, avec le premier venu"

« Un frisson de tendresse semblait avoir passé dans ses membres. Les yeux mouillés, elle se faisait petite, comme pour se mieux sentir. Puis, elle dénoua les mains, les abaissa le long d’elle par un glissement, jusqu’aux seins, qu’elle écrasa d’une étreinte nerveuse. Et rengorgée, se fondant dans une caresse de tout son corps, elle se frotta les joues à droite, à gauche, contre ses épaules, avec câlinerie […] Alors, Muffat eut un soupir bas et prolongé. Ce plaisir solitaire l’exaspérait. Brusquement, tout fut emporté en lui, comme par un grand vent. Il prit Nana à bras-le-corps, dans un élan de brutalité, et la jeta sur le tapis. »

Elle est pas d'toutes ces connes qui traînent sur les réseaux
Non elle fait pas la pute à la foire pour blaireaux

C'est pas l'capitalisme des strings dans les cerveaux
C'est plutôt l'communisme des frangins du pogo
Elle a le regard triste des horizons sanglots
Elle a la croix des Christs tatouée sur la peau

Y a marqué Mort aux cons, y a marqué Mort aux rois
Y a marqué Mort à Dieu et puis Mort aux bourgeois
Y a marqué gloire à ceux qui pourraient la violer
Viens voir au fond des chiottes ouais si tu veux tenter
Dans un chapitre, Nana invite tout le petit monde à un diner mondain, où chacun se met en avant, égoïstement, où elle s’emmerde ; dans un autre, ce petit monde participe à des courses hippiques, loisir assommant de la bourgeoisie où la compétition est de mise.

Zola dépeint une société mondaine, pieuse, mais complètement corrompue et dépravée, métaphore du Second Empire.
Germaine, elle, renvoie à notre société patriarcale capitaliste.

" Et ces coups de pieds, elle les allongeait de si bon cœur dans les Tuileries, dans la majesté de la cour impériale."

"Riant toujours, emportée par l’irrespect des grandeurs, par la joie de l’avilir sous la pompe officielle de ce costume, elle le secoua, le pinça, en lui jetant des : « Eh ! va donc, chambellan ! » qu’elle accompagna enfin de longs coups de pied dans le derrière ; et, ces coups de pied, elle les allongeait de si bon cœur dans les Tuileries, dans la majesté de la cour impériale, trônant au sommet, sur la peur et l’aplatissement de tous. Voilà ce qu’elle pensait de la société ! C’était sa revanche, une rancune inconsciente de famille, léguée avec le sang. Puis, le chambellan déshabillé, l’habit étalé par terre, elle lui cria de sauter, et il sauta ; elle lui cria de cracher, et il cracha ; elle lui cria de marcher sur l’or, sur les aigles, sur les décorations, et il marcha. Patatras ! il n’y avait plus rien, tout s’effondrait. Elle cassait un chambellan comme elle cassait un flacon ou un drageoir, et elle en faisait une ordure, un tas de boue au coin d’une borne."


Le fond des chiottes renvoie peut -être à la mouche d'or (Nana) envolée des faubourgs sales et misérables, à l'existence infortunée (horizons sanglots, croix des christs), qui a répandu son vice. Comme une provocation à venir profiter de la Misère, qui ne craint rien car elle sait se défendre et renverra les coups.

"Elle demeurait seule debout, au milieu des richesses entassées de son hôtel, avec un peuple d’hommes abattus à ses pieds. Comme ces monstres antiques dont le domaine redouté était couvert d’ossements, elle posait les pieds sur des crânes, et des catastrophes l’entouraient, la flambée furieuse de Vandeuvres, la mélancolie de Foucarmont perdu dans les mers de la Chine, le désastre de Steiner réduit à vivre en honnête homme, l’imbécillité satisfaite de la Faloise, et le tragique effondrement des Muffat, et le blanc cadavre de Georges, veillé par Philippe, sorti la veille de prison. Son oeuvre de ruine et de mort était faite, la mouche envolée de l’ordure des faubourgs, apportant le ferment des pourritures sociales, avait empoisonné ces hommes, rien qu’à se poser sur eux. C’était bien, c’était juste, elle avait vengé son monde, les gueux et les abandonnés. Et tandis que, dans une gloire, son sexe montait et rayonnait sur ses victimes étendues, pareil à un soleil levant qui éclaire un champ de carnage, elle gardait son inconscience de bête superbe, ignorante de sa besogne, bonne fille toujours."

"La chronique de Fauchery, intitulée La Mouche d'or, était l'histoire d'une fille, née de quatre ou cinq générations d'ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson, qui se transformait chez elle en un détraquement nerveux de son sexe de femme. Elle avait poussé dans un faubourg, sur le pavé parisien ; et, grande, belle, de chair superbe ainsi qu'une plante de plein fumier, elle vengeait les gueux et les abandonnés dont elle était le produit. Avec elle, la pourriture qu'on laissait fermenter dans le peuple, remontait et pourrissait l'aristocratie. Elle devenait une force de la nature, un ferment de destruction, sans le vouloir elle-même, corrompant et désorganisant Paris entre ses cuisses de neige, le faisant tourner comme des femmes, chaque mois, font tourner le lait. Et c'était à la fin de l'article que se trouvait la comparaison de la mouche, une mouche couleur de soleil, envolée de l'ordure, une mouche qui prenait la mort sur les charognes tolérées le long des chemins, et qui, bourdonnante, dansante, jetant un éclat de pierreries, empoisonnait les hommes rien qu'à se poser sur eux, dans les palais où elle entrait par les fenêtres."

Comme une envie d'frapper, comme une envie d'tuer
Comme une envie d'mourir, comme une envie d'aimer
Des rasoirs aux poignets juste pour dessiner
Comme une envie d'se jeter face à l'éternité

Elle dit qu'elle veut s'barrer comme une bouche de tro-mé
Elle dit qu'elle veut s'flinguer, comme une envie de pisser
Elle dit qu'elle veut mourir, elle dit qu'elle veut crever!
Germaine!
Dans un passage du roman, assez soudainement, Nana a une crise mélancolique suicidaire.

"Nana toquée d'un baryton de café concert et quittée par lui, rêva de suicide, dans une crise de sentimentalité noire; elle avala un verre d'eau où elle avait fait tremper une poignée d'allumettes"

A la fin, Nana meurt, symbolisant la chute prochaine de l'Empire, annonçant la fin de l'ère de décadence et d'excès.
Germaine veut mourir, symbole du suicide de la résistance de notre société où il ne reste qu’une douce rébellion face à un système, une société qu'elle (qu'on) ne cherche plus à combattre mais à dompter.

Ca me fait penser à cette citation, de Chantal Birman, sage-femme féministe: "Entre la vie et la mort les femmes choisissent toujours la liberté".
Elle est garçons Pigalle, elle est garçons Bouchers
Elle est mes germinal, elle est mes Béruriers
Elle est l'Antisocial de mes nuits torturées
Pigalle, Garçons Bouchers, Trust, Les Bérus, (Germinal Tenas?) ... Germaine est rock'n'roll ... Autre passage où Germaine est une Nana ré-ancrée dans notre société, dans notre siècle, loin de l'Empire de Nana. Si on prend l'origine du mot rock'n'roll, ça vient de l'argot américain (to rock « bercer, balancer » et to roll « rouler » qui signifie "faire l'amour" (Nana roule les trottoirs et les bastringues). Initialement plutôt porteur de textes chargés de lascivité, le rock est rapidement devenu un style libre et engagé, une contre-culture, une rupture et une rébellion face aux normes établies. Il était, à ses débuts, dénoncé par la majorité morale qui y voyait l'obscénité, violence et attitudes déviantes. Ca me fait penser à « Germaine », non ?

Antisociale dans le sens psychiatrique du terme, avec l'indifférence vis à vis des émotions et des droits d'autrui, comme quand elle torture Muffat et tous les autres hommes à ses pieds. Pourtant Nana est avant tout une gentille, elle souffre du chagrin autour d'elle, elle s'excuse quand elle a été trop dure avec ses domestiques etc. Mais elle se fout royalement des gens chics, des bourgeois qui ne l’épatent plus, qui ne sont pour elle que de la saleté. Elles les méprisent et les brisent.

"Alors, quand elle le sentit si humble, Nana eut le triomphe tyrannique. Elle apportait d’instinct la rage d’avilir. Il ne lui suffisait pas de détruire les choses, elle les salissait. Ses mains si fines laissaient des traces abominables, décomposaient d’elles-mêmes tout ce qu’elles avaient cassé.

Quand elle roule des gros joints dans tous les bars clandés
Comme une tristesse au poing, garde le poing levé
Elle a pas d'religion, que celles des Thénardier
Que celle des sans pognon, des générosités
Quand prise d'une crise mélancolique, elle revient sur son histoire misérable, sa solitude, qu'elle culpabilise du malheur des autres, avant de conclure, en colère, qu'elle n'est pas la coupable de tout ça, mais que la société est la fautive ! Et qu'elle peut bien faire ce qu'elle veut !

(La référence aux Thénardier de VH, je ne la saisissais pas car c'était plutôt, pour moi, une vile famille, sauf si on le prend dans ce sens : "A travers ces personnages, Victor Hugo dénonce la misère des gens et montre comment ils essayent de faire pour s’en sortir. Il essaye de nous faire comprendre qu’il ne faut pas systématiquement condamner certains gestes, que ces personnes peuvent avoir des vies si misérables qu’ils sont poussés à faire des choses qui nous paraissent intolérables. Nous pouvons associer les Thénardier à la définition du terme misérable dans le sens : dont l’état, le sort inspire la pitié : " mener une existence misérable." (source de merde mais ça colle quand même : https://fr.vikidia.org/wiki/Th%C3%A9nardier ))

"Nana était peu à peu tombée dans un gros chagrin. D’abord, la rencontre du marquis et du comte l’avait secouée d’une fièvre nerveuse, où il entrait presque de la gaieté. Puis, la pensée de ce vieux qui partait dans un fiacre, à moitié mort, et de son pauvre mufe qu’elle ne verrait plus, après l’avoir tant fait enrager, lui causa un commencement de mélancolie sentimentale. Ensuite, elle s’était fâchée en apprenant la maladie de Satin, disparue depuis quinze jours, et en train de crever à Lariboisière, tellement madame Robert l’avait mise dans un fichu état. Comme elle faisait atteler pour voir encore une fois cette petite ordure, Zoé venait tranquillement de lui donner ses huit jours. Du coup, elle fut désespérée ; il lui semblait qu’elle perdait une personne de sa famille. Mon Dieu ! qu’allait-elle devenir, toute seule ?" […] Puis, la gorge serrée depuis le matin, elle éclata en sanglots, elle se soulagea. C’était une tristesse infinie, quelque chose de profond et d’immense dont elle se sentait accablée. "[…] Ce n’est pas lui seulement, c’est tout, c’est tout… Je suis bien malheureuse… Oh ! je comprends, va ! ils vont encore dire que je suis une coquine… Cette mère qui se fait du chagrin là-bas, et ce pauvre homme qui geignait ce matin, devant ma porte, et les autres ruinés à cette heure, après avoir mangé leurs sous avec moi… C’est ça, tapez sur Nana, tapez sur la bête ! Oh ! j’ai bon dos, je les entends comme si j’y étais : Cette sale fille qui couche avec tout le monde, qui nettoie les uns, qui fait crever les autres, qui cause de la peine à un tas de personnes […] Elle dut s’interrompre, suffoquée par les larmes, tombée de douleur en travers d’un divan, la tête enfoncée dans un coussin. Les malheurs qu’elle sentait autour d’elle, ces misères qu’elle avait faites, la noyaient d’un flot tiède et continu d’attendrissement ; et sa voix se perdait en une plainte sourde de petite fille.
— Oh ! j’ai mal, oh ! j’ai mal… Je ne peux pas, ça m’étouffe… C’est trop dur de ne pas être comprise, de voir les gens se mettre contre vous, parce qu’ils sont les plus forts… Cependant, quand on n’a rien à se reprocher, quand on a sa conscience pour soi… Eh bien ! non, eh bien ! non…
Une révolte montait dans sa colère. Elle se releva, elle essuya ses larmes, marcha avec agitation.
— Eh bien ! non, ils diront ce qu’ils voudront, ce n’est pas ma faute ! Est-ce que je suis méchante, moi ? Je donne tout ce que j’ai, je n’écraserais pas une mouche… Ce sont eux, oui, ce sont eux !… Jamais je n’ai voulu leur être désagréable. Et ils étaient pendus après mes jupes, et aujourd’hui les voilà qui claquent, qui mendient, qui posent tous pour le désespoir… […] Elle s’était remise à marcher, elle appliqua un violent coup de poing sur un guéridon.— Nom de Dieu ! ce n’est pas juste ! La société est mal faite. On tombe sur les femmes, quand ce sont les hommes qui exigent des choses… "

"Quand elle rentrait en voiture, elle s’amourachait parfois d’un souillon aperçu sur le pavé, les sens pris, l’imagination lâchée ; et elle faisait monter le souillon, le payait et le renvoyait."

Aux époques des putains qui ont la chatte bon marché
Elle elle a les destins du combat du guerrier
De ceux là qui n'ont rien, que leur cœur à donner
De ceux là qui n'ont rien, que leur cœur à s'aimer
Elle est des camarades, elle est des cœurs sacrés
Quand les aut's tombent en rade, elle continue d'rouler
Nana semble être la vénus guerrière et vengeresse d'un peuple ouvrier et miséreux, qui humilie, ruine, châtie le fortuné. Ou plutôt l'homme fortuné est anéanti, par une femme, une femme de chair, une femme de chair et populaire. Nana, c'est un peu un message de révolte pour le peuple ouvrier, et pour les femmes, avec le sexe comme arme de lutte des classes, de lutte des genres!

Satin, son amie et amante, prostituée avec qui elle roulait, meurt à la fin du roman Nana. Lassée de cette existence fausse et dérisoire, Nana vend ses biens et s’enfuit, continuant sa route sans Satin.

" Alors, Nana devint une femme chic, rentière de la bêtise et de l'ordure des mâles, marquise des hauts trottoirs" […] " Elle, c’était avec autre chose, une petite bêtise dont on riait, un peu de sa nudité délicate, c’était avec ce rien honteux et si puissant, dont la force soulevait le monde, que toute seule, sans ouvriers, sans machines inventées par des ingénieurs, elle venait d’ébranler Paris et de bâtir cette fortune où dormaient des cadavres."

" Son œuvre de ruine et de mort était faite, la mouche envolée de l’ordure des faubourgs, apportant le ferment des pourritures sociales, avait empoisonné ces hommes, rien qu’à se poser sur eux. C’était bien, c’était juste, elle avait vengé son monde, les gueux et les abandonnés. Et tandis que, dans une gloire, son sexe montait et rayonnait sur ses victimes étendues, pareil à un soleil levant qui éclaire un champ de carnage, elle gardait son inconscience de bête superbe, ignorante de sa besogne, bonne fille toujours."


" Elle restait grosse, elle restait grasse, d’une belle santé, d’une belle gaieté. Tout ça ne comptait plus, son hôtel lui semblait idiot, trop petit, plein de meubles qui la gênaient. Une misère, simplement histoire de commencer. Aussi rêvait-elle quelque chose de mieux ; et elle partit en grande toilette pour embrasser Satin une dernière fois, propre, solide, l’air tout neuf, comme si elle n’avait pas servi."
Elle est comme un drapeau, comme si t'avais planté
Au milieu du bistrot la statue liberté
Germaine, comme Nana, c'est le destin d’une femme libre (à deux époques différentes) dans un monde dominé par les hommes ! Elles révèlent l’anxiété masculine face à l’émancipation des femmes qu’ils tentent de réprimer par tout moyen. Elles menacent l’ordre social patriarcal basé sur la domination masculine et la soumission des femmes, mais aussi la hiérarchie socio-économique (peur du nivellement et volonté des riches de ne pas perdre leurs privilèges).
Et Germaine m’apparait donc comme un message libertaire pour la femme. Mais cette populaire libertaire me semble enfermée par l'alcool, ou alors c’est un double sens des dernières phrases, une liberté statufiée, pétrifiée, emprisonnée par l’alcool (« au milieu du bistrot ») et on pourrait alors y voir un clin d’œil à l’Assommoir ?
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Très intéressant, merci ♡
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Oui, merci, joli parallèle.
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Nobody a écrit : 26 janv. 2022, 11:02 joli parallèle.
Les plumes masculines, de Zola à Saez, de Baudelaire à Hugo, de Nana à Betty ... se gorgent elles pour ces archétypes féminins par pur masochisme ? Ou ces portraits de sorcières, de courtisanes, de démones, sont ils simplement l'aveu de leurs propres névroses ?

Qu'en est il de la littérature féminine ? Connait on ce genre d'héroïne border line qui initie des histoires qui finissent mal ? Ou bien leur liberté et leur pouvoir sont mis en scène à des fins plus spirituelles ?

Vous avez une semaine :geek: :!:
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Nobody
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Ne lisant quasiment aucune femme, je ne vais pas être d'une grand aide à titre personnel.
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Éos
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Merci @Digitalis pour ces références et ton analyse !
Dernière modification par Éos le 29 janv. 2022, 06:03, modifié 1 fois.
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ellenaelk
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C'était super intéressant merci beaucoup !!
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Digitalis
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Meduse a écrit : 26 janv. 2022, 14:03
Nobody a écrit : 26 janv. 2022, 11:02 joli parallèle.
Les plumes masculines, de Zola à Saez, de Baudelaire à Hugo, de Nana à Betty ... se gorgent elles pour ces archétypes féminins par pur masochisme ? Ou ces portraits de sorcières, de courtisanes, de démones, sont ils simplement l'aveu de leurs propres névroses ?

Qu'en est il de la littérature féminine ? Connait on ce genre d'héroïne border line qui initie des histoires qui finissent mal ? Ou bien leur liberté et leur pouvoir sont mis en scène à des fins plus spirituelles ?

Vous avez une semaine :geek: :!:

questionnement hyper intéressant!!

En une semaine c'est rude !
Quelques pistes peut être...

Existe-il une écriture féminine ?
http://brigitte-niquet.e-monsite.com/pa ... inine.html

Delphine Naudier. L'écriture-femme, une innovation esthetique emblematique.
Sociétés contemporaines. Avril 2001 (no 44), p 57 -73
https://doi.org/10.3917/soco.044.0057
https://www.cairn.info/revue-societes-c ... nu=article

Article un peu long et qui date un peu.

« Ils ont dit que la Vérité n’avait pas de sexe. Ils ont dit que l’art, la science, la philosophie étaient des vérités pour tous. (…) Non, non, je ne demande pas l’accès à la Vérité, sachant trop combien c’est un puissant mensonge que les hommes détiennent là. Je ne demande que la parole. Vous me la donnez d’accord, mais ce n’est pas celle-là que je veux. C’est la mienne que je veux (…) Car il ne me suffit pas de parler de moi pour trouver une parole qui soit mienne. Littérature de femme : littérature féminine, bien féminine, d’une exquise sensibilité féminine. (…) Un homme parle au nom des hommes. Une femme, au nom des femmes. »
(Leclerc, 1974 : 11-12)

« Tant pis pour lui [l’homme], il faudra que j’en parle, des jouissances de mon sexe, non, non, pas les jouissances de mon âme, de ma vertu ou de ma sensibilité féminine, les jouissances de mon ventre de femme, de mon vagin de femme, de mes seins de femme, des jouissances fastueuses dont vous n’avez nulle idée. Il faudra bien que j’en parle car c’est seulement de là que pourra naître une parole neuve et qui soit de la femme. »
(Leclerc, 1974 : 15)


Plus récemment mais je n'ai pas encore eu l'occasion de le lire

https://www.babelio.com/livres/Reid-Fem ... -I/1213726
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Digitalis
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Mais je crois qu'on n' est pas dans le bon topic, car Zola, en tant qu'homme, ne valait pas mieux que Flaubert et Rousseau, etc... Leurs textes transpirent de misogynie et ne font que sous entendre ce qu'ils pensent :

« Je ne suis certes pas hostile au mouvement féministe, à l’émancipation de la femme, mais n’exagérons rien. On a trop longtemps traité la femme en esclave et on n’a que trop tardé à lui reconnaître certains droits, mais de là à la considérer comme l’égale de l’homme, à la traiter comme telle, il y a loin. Ni moralement ni physiquement, elle ne peut prétendre à cette égalité et l’émancipation ne doit se faire que dans la mesure de nos mœurs, de nos usages, je dirai même des préjugés de notre édifice social. » Zola
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