Tribunes et Manifestes

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Meduse
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"C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde."


"Que ce soit a l’assemblée nationale ou dans la culture, vous, les puissants, vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour le viol, les exactions de votre police, les césars, votre réforme des retraites. En prime, il vous faut le silence de victimes.

Tribune. Je vais commencer comme ça : soyez rassurés, les puissants, les boss, les chefs, les gros bonnets : ça fait mal. On a beau le savoir, on a beau vous connaître, on a beau l’avoir pris des dizaines de fois votre gros pouvoir en travers de la gueule, ça fait toujours aussi mal. Tout ce week-end à vous écouter geindre et chialer, vous plaindre de ce qu’on vous oblige à passer vos lois à coups de 49.3 et qu’on ne vous laisse pas célébrer Polanski tranquilles et que ça vous gâche la fête mais derrière vos jérémiades, ne vous en faites pas : on vous entend jouir de ce que vous êtes les vrais patrons, les gros caïds, et le message passe cinq sur cinq : cette notion de consentement, vous ne comptez pas la laisser passer. Où serait le fun d’appartenir au clan des puissants s’il fallait tenir compte du consentement des dominés ? Et je ne suis certainement pas la seule à avoir envie de chialer de rage et d’impuissance depuis votre belle démonstration de force, certainement pas la seule à me sentir salie par le spectacle de votre orgie d’impunité.

Il n’y a rien de surprenant à ce que l’académie des césars élise Roman Polanski meilleur réalisateur de l’année 2020. C’est grotesque, c’est insultant, c’est ignoble, mais ce n’est pas surprenant. Quand tu confies un budget de plus de 25 millions à un mec pour faire un téléfilm, le message est dans le budget. Si la lutte contre la montée de l’antisémitisme intéressait le cinéma français, ça se verrait. Par contre, la voix des opprimés qui prennent en charge le récit de leur calvaire, on a compris que ça vous soûlait. Alors quand vous avez entendu parler de cette subtile comparaison entre la problématique d’un cinéaste chahuté par une centaine de féministes devant trois salles de cinéma et Dreyfus, victime de l’antisémitisme français de la fin du siècle dernier, vous avez sauté sur l’occasion. Vingt-cinq millions pour ce parallèle. Superbe. On applaudit les investisseurs, puisque pour rassembler un tel budget il a fallu que tout le monde joue le jeu : Gaumont Distribution, les crédits d’impôts, France 2, France 3, OCS, Canal +, la RAI… la main à la poche, et généreux, pour une fois. Vous serrez les rangs, vous défendez l’un des vôtres. Les plus puissants entendent défendre leurs prérogatives : ça fait partie de votre élégance, le viol est même ce qui fonde votre style. La loi vous couvre, les tribunaux sont votre domaine, les médias vous appartiennent. Et c’est exactement à cela que ça sert, la puissance de vos grosses fortunes : avoir le contrôle des corps déclarés subalternes. Les corps qui se taisent, qui ne racontent pas l’histoire de leur point de vue. Le temps est venu pour les plus riches de faire passer ce beau message : le respect qu’on leur doit s’étendra désormais jusqu’à leurs bites tachées du sang et de la merde des enfants qu’ils violent. Que ça soit à l’Assemblée nationale ou dans la culture - marre de se cacher, de simuler la gêne. Vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour le viol, ça vaut pour les exactions de votre police, ça vaut pour les césars, ça vaut pour votre réforme des retraites. C’est votre politique : exiger le silence des victimes. Ça fait partie du territoire, et s’il faut nous transmettre le message par la terreur vous ne voyez pas où est le problème. Votre jouissance morbide, avant tout. Et vous ne tolérez autour de vous que les valets les plus dociles. Il n’y a rien de surprenant à ce que vous ayez couronné Polanski : c’est toujours l’argent qu’on célèbre, dans ces cérémonies, le cinéma on s’en fout. Le public on s’en fout. C’est votre propre puissance de frappe monétaire que vous venez aduler. C’est le gros budget que vous lui avez octroyé en signe de soutien que vous saluez - à travers lui c’est votre puissance qu’on doit respecter.

Il serait inutile et déplacé, dans un commentaire sur cette cérémonie, de séparer les corps de cis mecs aux corps de cis meufs. Je ne vois aucune différence de comportements. Il est entendu que les grands prix continuent d’être exclusivement le domaine des hommes, puisque le message de fond est : rien ne doit changer. Les choses sont très bien telles qu’elles sont. Quand Foresti se permet de quitter la fête et de se déclarer «écœurée», elle ne le fait pas en tant que meuf - elle le fait en tant qu’individu qui prend le risque de se mettre la profession à dos. Elle le fait en tant qu’individu qui n’est pas entièrement assujetti à l’industrie cinématographique, parce qu’elle sait que votre pouvoir n’ira pas jusqu’à vider ses salles. Elle est la seule à oser faire une blague sur l’éléphant au milieu de la pièce, tous les autres botteront en touche. Pas un mot sur Polanski, pas un mot sur Adèle Haenel. On dîne tous ensemble, dans ce milieu, on connaît les mots d’ordre : ça fait des mois que vous vous agacez de ce qu’une partie du public se fasse entendre et ça fait des mois que vous souffrez de ce qu’Adèle Haenel ait pris la parole pour raconter son histoire d’enfant actrice, de son point de vue.

Alors tous les corps assis ce soir-là dans la salle sont convoqués dans un seul but : vérifier le pouvoir absolu des puissants. Et les puissants aiment les violeurs. Enfin, ceux qui leur ressemblent, ceux qui sont puissants. On ne les aime pas malgré le viol et parce qu’ils ont du talent. On leur trouve du talent et du style parce qu’ils sont des violeurs. On les aime pour ça. Pour le courage qu’ils ont de réclamer la morbidité de leur plaisir, leur pulsion débile et systématique de destruction de l’autre, de destruction de tout ce qu’ils touchent en vérité. Votre plaisir réside dans la prédation, c’est votre seule compréhension du style. Vous savez très bien ce que vous faites quand vous défendez Polanski : vous exigez qu’on vous admire jusque dans votre délinquance. C’est cette exigence qui fait que lors de la cérémonie tous les corps sont soumis à une même loi du silence. On accuse le politiquement correct et les réseaux sociaux, comme si cette omerta datait d’hier et que c’était la faute des féministes mais ça fait des décennies que ça se goupille comme ça : pendant les cérémonies de cinéma français, on ne blague jamais avec la susceptibilité des patrons. Alors tout le monde se tait, tout le monde sourit. Si le violeur d’enfant c’était l’homme de ménage alors là pas de quartier : police, prison, déclarations tonitruantes, défense de la victime et condamnation générale. Mais si le violeur est un puissant : respect et solidarité. Ne jamais parler en public de ce qui se passe pendant les castings ni pendant les prépas ni sur les tournages ni pendant les promos. Ça se raconte, ça se sait. Tout le monde sait. C’est toujours la loi du silence qui prévaut. C’est au respect de cette consigne qu’on sélectionne les employés.

Et bien qu’on sache tout ça depuis des années, la vérité c’est qu’on est toujours surpris par l’outrecuidance du pouvoir. C’est ça qui est beau, finalement, c’est que ça marche à tous les coups, vos saletés. Ça reste humiliant de voir les participants se succéder au pupitre, que ce soit pour annoncer ou pour recevoir un prix. On s’identifie forcément - pas seulement moi qui fais partie de ce sérail mais n’importe qui regardant la cérémonie, on s’identifie et on est humilié par procuration. Tant de silence, tant de soumission, tant d’empressement dans la servitude. On se reconnaît. On a envie de crever. Parce qu’à la fin de l’exercice, on sait qu’on est tous les employés de ce grand merdier. On est humilié par procuration quand on les regarde se taire alors qu’ils savent que si Portrait de la jeune fille en feu ne reçoit aucun des grands prix de la fin, c’est uniquement parce qu’Adèle Haenel a parlé et qu’il s’agit de bien faire comprendre aux victimes qui pourraient avoir envie de raconter leur histoire qu’elles feraient bien de réfléchir avant de rompre la loi du silence. Humilié par procuration que vous ayez osé convoquer deux réalisatrices qui n’ont jamais reçu et ne recevront probablement jamais le prix de la meilleure réalisation pour remettre le prix à Roman fucking Polanski. Himself. Dans nos gueules. Vous n’avez décidément honte de rien. Vingt-cinq millions, c’est-à-dire plus de quatorze fois le budget des Misérables, et le mec n’est même pas foutu de classer son film dans le box-office des cinq films les plus vus dans l’année. Et vous le récompensez. Et vous savez très bien ce que vous faites - que l’humiliation subie par toute une partie du public qui a très bien compris le message s’étendra jusqu’au prix d’après, celui des Misérables, quand vous convoquez sur la scène les corps les plus vulnérables de la salle, ceux dont on sait qu’ils risquent leur peau au moindre contrôle de police, et que si ça manque de meufs parmi eux, on voit bien que ça ne manque pas d’intelligence et on sait qu’ils savent à quel point le lien est direct entre l’impunité du violeur célébré ce soir-là et la situation du quartier où ils vivent. Les réalisatrices qui décernent le prix de votre impunité, les réalisateurs dont le prix est taché par votre ignominie - même combat. Les uns les autres savent qu’en tant qu’employés de l’industrie du cinéma, s’ils veulent bosser demain, ils doivent se taire. Même pas une blague, même pas une vanne. Ça, c’est le spectacle des césars. Et les hasards du calendrier font que le message vaut sur tous les tableaux : trois mois de grève pour protester contre une réforme des retraites dont on ne veut pas et que vous allez faire passer en force. C’est le même message venu des mêmes milieux adressé au même peuple : «Ta gueule, tu la fermes, ton consentement tu te le carres dans ton cul, et tu souris quand tu me croises parce que je suis puissant, parce que j’ai toute la thune, parce que c’est moi le boss.»

Alors quand Adèle Haenel s’est levée, c’était le sacrilège en marche. Une employée récidiviste, qui ne se force pas à sourire quand on l’éclabousse en public, qui ne se force pas à applaudir au spectacle de sa propre humiliation. Adèle se lève comme elle s’est déjà levée pour dire voilà comment je la vois votre histoire du réalisateur et son actrice adolescente, voilà comment je l’ai vécue, voilà comment je la porte, voilà comment ça me colle à la peau. Parce que vous pouvez nous la décliner sur tous les tons, votre imbécillité de séparation entre l’homme et l’artiste - toutes les victimes de viol d’artistes savent qu’il n’y a pas de division miraculeuse entre le corps violé et le corps créateur. On trimballe ce qu’on est et c’est tout. Venez m’expliquer comment je devrais m’y prendre pour laisser la fille violée devant la porte de mon bureau avant de me mettre à écrire, bande de bouffons.

Adèle se lève et elle se casse. Ce soir du 28 février on n’a pas appris grand-chose qu’on ignorait sur la belle industrie du cinéma français par contre on a appris comment ça se porte, la robe de soirée. A la guerrière. Comme on marche sur des talons hauts : comme si on allait démolir le bâtiment entier, comment on avance le dos droit et la nuque raidie de colère et les épaules ouvertes. La plus belle image en quarante-cinq ans de cérémonie - Adèle Haenel quand elle descend les escaliers pour sortir et qu’elle vous applaudit et désormais on sait comment ça marche, quelqu’un qui se casse et vous dit merde. Je donne 80 % de ma bibliothèque féministe pour cette image-là. Cette leçon-là. Adèle je sais pas si je te male gaze ou si je te female gaze mais je te love gaze en boucle sur mon téléphone pour cette sortie-là. Ton corps, tes yeux, ton dos, ta voix, tes gestes tout disait : oui on est les connasses, on est les humiliées, oui on n’a qu’à fermer nos gueules et manger vos coups, vous êtes les boss, vous avez le pouvoir et l’arrogance qui va avec mais on ne restera pas assis sans rien dire. Vous n’aurez pas notre respect. On se casse. Faites vos conneries entre vous. Célébrez-vous, humiliez-vous les uns les autres tuez, violez, exploitez, défoncez tout ce qui vous passe sous la main. On se lève et on se casse. C’est probablement une image annonciatrice des jours à venir. La différence ne se situe pas entre les hommes et les femmes, mais entre dominés et dominants, entre ceux qui entendent confisquer la narration et imposer leurs décisions et ceux qui vont se lever et se casser en gueulant. C’est la seule réponse possible à vos politiques. Quand ça ne va pas, quand ça va trop loin ; on se lève on se casse et on gueule et on vous insulte et même si on est ceux d’en bas, même si on le prend pleine face votre pouvoir de merde, on vous méprise on vous dégueule. Nous n’avons aucun respect pour votre mascarade de respectabilité. Votre monde est dégueulasse. Votre amour du plus fort est morbide. Votre puissance est une puissance sinistre. Vous êtes une bande d’imbéciles funestes. Le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable. On se lève et on se casse. C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde."

Virginie DESPENTES romancière
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Merci
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"Le thème cette semaine c’est l’infertilité masculine et ma vision des hommes a changé depuis mon installation en tant que médecin généraliste. C’est venu peu à peu.

Mais en vrai je ne sais pas pourquoi je vous dis ça, je ne veux pas parler des hommes, là maintenant tout de suite. Hier c’était la journée internationale des droits des femmes. Vous allez vous dire que cette chronique part dans tous les sens, mais c’est le sens de ma colère alors suivons-la.

Commençons par évoquer les femmes qui ont croisé ma route de soignant
Madame G :
Bonjour, mon mari a mal au pénis lors des rapports et il m’a dit d’aller consulter car il pense que c’est ma faute. J’ai un problème, d’après lui.
Le mari reste regarder la TV dans son sofa pendant que madame G. patiente deux heures en salle d’attente !!! Devinez quoi : elle ne présente aucun symptôme alors que son mari urine LITTÉRALEMENT (excusez-moi du détail) du pus.

Madame R :
Qui pleure car elle n’arrive pas à concevoir de bébé avec son nouveau compagnon et que celui-ci, attendez tenez-vous bien, il lui fait la gueule ! (Mais que voilà une riche idée qui va bien améliorer leur situation et sécher les larmes de ma patiente).

Le pire ? Elle a déjà eu deux enfants avec un autre type. Vous comprenez ce que ça signifie, hein ? Non parce que lui, manifestement, il n’avait pas compris que le problème était de son côté.

Madame L :
Qui vient pour une interruption volontaire de grossesse, et qui vient seule, et qui pleure car elle aimerait bien ne pas être seule, mais l’enfant débilissime qui lui sert de compagnon a préféré jouer à la Playstation en fumant des pétards plutôt que d’accompagner sa nana.

Les meufs sont fertiles seulement trois jours par mois, les hommes sont fertiles à chaque rapport sexuel, 364 jours par an mais ce n'est jamais eux qui pleurent dans mon cabinet parce qu’ils doivent gérer l’annonce d’une grossesse non désirée. Jamais eux. Non. Je ne leur tends jamais ma petite boîte de mouchoirs. Jamais, jamais, jamais !

Je n’en peux plus des problèmes d’égo de ces types-là. C’est un puits sans fond, les femmes ont raison d’être "vénères", de descendre dans la rue, de hurler leurs colères
Je me répète, je sais, mais j’en ai marre de nous, mais d’une force...

Ah et monsieur P ?
Il vient au cabinet un jour, il y a sept ou huit ans. J’étais jeune remplaçant, encore très naïf sur les choses de l’amour, et il me lance à la fin de la consultation :

Ma femme est en pleine ménopause. Elle est de mauvaise humeur. J’ai le droit à rien, même pas à une petite caresse de dépannage de temps en temps.
Une caresse de dépannage ?! Sérieusement ? UNE CARESSE DE DÉPANNAGE ? Mais je vous jure ! Sa femme se débat littéralement avec les bouffées de chaleur, les sautes d’humeur, le moral en berne, le maelström hormonal, et lui en bon gros bébé pourri gâté il boude parce qu’il n’a même pas « droit à ses caresses de dépannage ». J’ai honte de nous, sérieux. Le sexe n’est pas un dû. LE SEXE N’EST PAS UN DÛ.

Être une femme hétérosexuelle, c’est quand même devoir choisir parmi un cageot rempli de fruits pourris celui qui vous pèsera le moins sur l’estomac. Alors oui, je sais on va me dire "pas tous les hommes", eh bien je m’en fous : tant qu’il en restera un seul de pourri, il en sera de la responsabilité des autres de l’écarter le temps qu’on lui inculque ce qu’il faut de respect et de dignité.

Albert Camus disait :

Un homme, ça s’empêche.
Eh bien ça s’éduque aussi. Et ce n’est plus aux femmes de s’en charger. Elles ont assez donné. Elles ont assez payé."

Baptiste Beaulieu

https://www.franceinter.fr/amp/emission ... -mars-2020
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Meduse
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Merci
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Baptiste Baulieu, encore:
L’héroïsation du personnel soignant est un narratif commode pour dépolitiser nos revendications et nous enfermer dans une posture intenable : un héros, ça ne demande pas du personnel supplémentaire, ni ce truc un peu sale qu’on appelle des sous.

[...]

Je n’oublie pas qu’il y a encore quelques semaines le gouvernement d’Edouard Philippe aspergeait de lacrymo les soignants qui manifestaient pour une meilleure prise en charge de leurs patients… et aujourd’hui ça joue du Hans Zimmer sur un piano chaque fois qu’on pète…

L’héroïsation est toujours un piège, car c’est une dépolitisation.

Quand la crise sera passée, on voudra du personnel supplémentaire et des sous, pas des monuments aux morts, pas des statues.
https://www.alorsvoila.com/2020/03/18/coronaviedemerde/
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--- a écrit : 18 mars 2020, 17:19 Baptiste Baulieu, encore:
L’héroïsation du personnel soignant est un narratif commode pour dépolitiser nos revendications et nous enfermer dans une posture intenable : un héros, ça ne demande pas du personnel supplémentaire, ni ce truc un peu sale qu’on appelle des sous.

[...]

Je n’oublie pas qu’il y a encore quelques semaines le gouvernement d’Edouard Philippe aspergeait de lacrymo les soignants qui manifestaient pour une meilleure prise en charge de leurs patients… et aujourd’hui ça joue du Hans Zimmer sur un piano chaque fois qu’on pète…

L’héroïsation est toujours un piège, car c’est une dépolitisation.

Quand la crise sera passée, on voudra du personnel supplémentaire et des sous, pas des monuments aux morts, pas des statues.
https://www.alorsvoila.com/2020/03/18/coronaviedemerde/
Certes, mais les éloges demeurent une avancée sur les lacrymo.
Il serait à mon sens plus opportun d'attendre le refus d'augmentation de personnels et de moyens pour fustiger.
D'où le fameux "on ne tire pas sur l'ambulance".
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En même temps on sait très bien comment ça va se passer, ils vont les augmenter de 5 € et encore et diront "vous voyez on récompense l'engagement des soignants"
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goelandfou
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Charlotte a écrit : 19 mars 2020, 08:16 En même temps on sait très bien comment ça va se passer, ils vont les augmenter de 5 € et encore et diront "vous voyez on récompense l'engagement des soignants"
Ouais mais avec 5€ dans 2 mois ils s'achèteront un manoir
L'ours en cage ne peut que satisfaire l'ambition aventureuse des faibles, tandis que le cerf sauvage évoque une liberté et une vigueur pénétrantes
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Meduse
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Je ne suis pas sûr de l'auteur, puisque ce texte m'a été partagé par mail, avec un lien sur le site de Ruffin ( https://francoisruffin.fr/lan-01/) sans pour autant que l'article d'en dessous ne soit signé.

NOUS SAVONS

La pandémie qui oblige plus de trois milliards d’humains à rester confinés chez eux semble être arrivée par surprise, comme un fléau tombé du ciel. La plupart des dirigeants des États qui nous gouvernent jurent la main sur le cœur que cette pandémie est un événement unique, jamais vu, d’une ampleur inattendue. Dès lors, face à cet imprévu en forme de force majeure, les politiques reposent nécessairement sur des réactions, plus ou moins rationnelles, des méthodes plus ou moins validées, mais dans tous les cas, un vague sentiment d’improvisation et de tâtonnement prédomine ; alors que les décomptes macabres des morts ne cessent de se dérouler, implacablement. Pourtant, cette émergence d’un nouveau coronavirus était prévisible, et le tocsin avait été sonné à plusieurs reprises. En vain. Comme si nous étions atteints d’une étrange surdité quand une catastrophe est annoncée.  

Le spectacle du monde est très étrange : en quelques jours, trois milliards d’humains ont reçu l’ordre de rester confinés chez eux. Les économies d’à peu près tous les pays que compte la Terre mettent un genou à terre, quand elles ne sont pas atteintes d’une embolie sévère. Les oiseaux gazouillent dans les frondaisons de nos villes, les rues sont désertes de toute circulation, l’air deviendrait extraordinairement respirable si l’on pouvait se promener pour nous en délecter. Les couples confinés dans leurs appartements réapprennent à vivre ensemble, les travailleurs ont découvert en quelques instants que le télétravail n’était pas un luxe de bobo. Des milliards venus du ciel coulent à gogo pour aider des secteurs entiers de l’économie. La vie nouvelle serait presque belle s’il n’y avait en ce printemps délicieux ce parfum de mort, ces échos d’hôpitaux bondés, de cercueils entassés et de centaines de milliers de malades angoissés.

Sont-ils devenus fous ?

Dans ce paysage surréaliste, les dirigeants des États semblent avoir complètement perdu leurs repères. On distingue ici un président français martelant d’un air martial que nous sommes en guerre contre un ennemi… microscopique, une chancelière allemande claquemurée dans une quarantaine commode, un chef anglais faisant des valses hésitations pour finalement tourner en rond, un leader américain tweetomane hésitant dans le choix de son personnage : cabot outrancier devant ses électeurs ou comique troupier devant ses armées sanitaires.

Les dirigeants du monde seraient-ils devenus fous ? Incapables de faire des choix dans une situation à laquelle ils n’étaient pas préparés, ils se retranchent au jour le jour derrière les oracles des scientifiques, ils guettent d’autres courbes que celles de leur image, celles de leurs morts. Ils flattent, aiguillonnent, menacent pour que les chercheurs s’activent à trouver l’arme fatale contre le virus. Ils se jettent sur tout ce qui pourrait servir leur intérêt en détournant des cargaisons de produits d’urgence destinés à d’autres pays ou en tentant de s’approprier, à la hussarde, brevets et compétences. Les uns cherchent des masques, les autres des respirateurs ou des lits de réanimation. C’est panique à bord. On ferme boutique. On ferme les frontières. On se claquemure. La solidarité entre États n’est devenue qu’un vieux souvenir, quant à l’Europe, elle brille par son absence. Dans ce charivari du monde, on distingue des bataillons de nouveaux héros en blouse blanche qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’on leur donne. Ils sont en première ligne pour sauver des vies et la population le sait et les applaudit.

Une petite bestiole dont on ne connaissait pas le nom il y a encore trois mois. Une petite chose qui nous met échec et mat et révèle toute l’étendue de nos fragilités.

Le spectacle se déroule sous nos yeux dans un monde de haute intelligence, dans un monde qui veut aller sur Mars et sait manipuler les secrets de la matière ; dans un monde de grande technologie où l’on veut reculer les limites de l’âge et enfoncer celles de la nature. Ce monde si sûr de lui, conquérant et dominateur est fracassé par un virus. Une petite bestiole dont on ne connaissait pas le nom il y a encore trois mois. Une petite chose qui nous met échec et mat et révèle toute l’étendue de nos fragilités.

La première d’entre elles est notre incapacité atavique à envisager la catastrophe. Le philosophe Jean-Pierre Dupuy est un des grands penseurs de la catastrophe. « La catastrophe a ceci de terrible écrit-il que non seulement on ne croit pas qu’elle va se produire alors même qu’on a toutes les raisons de savoir qu’elle va se produire, mais qu’une fois qu’elle s’est produite elle apparaît comme relevant de l’ordre normal des choses. Sa réalité même la rend banale. »

Avant que la catastrophe ne se produise, personne n’y croit ; quand elle advient, elle entre sans embarras dans le registre du réel. C’est exactement ce qui se passe avec cette pandémie du coronavirus. Elle était annoncée. De nombreuses voix ont alerté le monde sur l’imminence d’une pandémie. Tous les détails y étaient. Ils sont restés « inouïs » au sens étymologique du terme : non-entendus.

Chronique d’une catastrophe annoncée

UP’ Magazine s’est plusieurs fois fait l’écho de ces prévisions et de cette catastrophe pandémique annoncée. À force même de nous répéter, comme d’autres médias, le procès en diffuseur de mauvaises nouvelles à des fins de sensationnalisme a parfois été fait. Pourtant les écrits restent et ces messages méritent d’être revus à la lumière du jour.

Le 12 février 2018, le directeur général de l’OMS prend la parole devant un parterre de choix : celui du sommet des gouvernements qui se tient à Dubaï. Dans un silence glacial, il annonce que l’apocalypse n’a jamais été aussi proche. « Il ne s’agit pas d’un scénario cauchemardesque du futur » dit-il. « C’est ce qui s’est passé il y a exactement cent ans pendant l’épidémie de grippe espagnole ».

Sur un ton terriblement grave il poursuit : « Une épidémie dévastatrice pourrait commencer dans n’importe quel pays à tout moment et tuer des millions de personnes parce que nous ne sommes pas encore prêts. Le monde reste vulnérable. »

Une épidémie aux conséquences désastreuses tant sur la vie humaine que sur l’économie.

ajoute : « Ce que nous savons, c’est qu’elle aura des conséquences désastreuses tant sur la vie humaine que sur l’économie. » Il termine en appelant les chefs d’États et de gouvernements assis devant lui à mettre les moyens pour éviter que ce soit un agent pathogène qui prenne le contrôle.

Résultat : rien. 

Autre message, début mai 2018, cette fois-ci d’un nom très connu du grand public : Bill Gates, le fondateur de Microsoft. Informé par les dernières données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il est persuadé que la probabilité de l’émergence d’une pandémie ne cesse d’augmenter. Ce personnage n’est pas du genre à se délecter de mauvaises nouvelles ; c’est un optimiste qui croit en l’intelligence de l’homme. Pourtant, le discours qu’il tient dans la prestigieuse enceinte du MIT devant un aréopage de médecins donne des frissons. Il assène : « Si vous disiez aux gouvernements du monde entier que des armes qui pourraient tuer 30 millions de personnes sont actuellement en construction, il y aurait un sentiment d’urgence à se préparer à la menace. »

Trouver des moyens pour lutter contre une maladie mortelle émergente.

Nous sommes en apparence mieux préparés que nous ne l’étions pour les pandémies précédentes, explique-t-il. Nous avons des médicaments antiviraux qui peuvent, dans de nombreux cas, améliorer les taux de survie. Nous avons des antibiotiques qui peuvent traiter les infections secondaires comme la pneumonie associée à la grippe. Mais, dit-il en substance, nous ne sommes pas encore assez efficaces pour identifier rapidement la menace d’une maladie et coordonner une réponse. Il termine en un appel aux gouvernements à trouver des moyens avec l’aide du secteur privé pour mettre au point des technologies et des outils en mesure de lutter contre une maladie mortelle émergente.

Résultat : rien.

Troisième exemple, début juin 2018. Une équipe de scientifiques du Johns Hopkins Center for Health Security publie un rapport intitulé « The Characteristics of Pandemic Pathogens », qui établit un cadre pour l’identification des micro-organismes naturels posant « un risque biologique catastrophique global » (GCBR dans la terminologie des experts de santé publique). Ces « GCBR » sont des événements dans lesquels des agents biologiques pourraient conduire à une catastrophe soudaine, extraordinaire et généralisée, au-delà de la capacité collective des gouvernements nationaux et internationaux et du secteur privé à la contrôler.

Pour les chercheurs, la prochaine pandémie ne viendra pas d’un virus à haut taux de mortalité, mais d’un virus banal, de la famille de ceux qui nous assaillent en hiver comme les rhinovirus ou coronavirus, par exemple. Ils ne sont que peu mortels mais leur potentiel pandémique est énorme. Les auteurs soulignent en effet que pour déstabiliser les gouvernements, l’économie, les sociétés, et toutes les organisations sanitaires, la mortalité importe moins qu’un taux très élevé de personnes malades en même temps. Il est avéré qu’un virus peu mortel mais extrêmement contagieux, notamment par les voies aériennes, peut finalement provoquer une hécatombe.

Portrait-robot du futur agent pandémique : un coronavirus à ARN d’origine respiratoire

https://twitter.com/intent/tweet?text=P ... o/?p=40431

Les travaux de l’équipe de recherche aboutissent à un portrait-robot du futur agent pandémique. Son mode de transmission, conclut l’équipe, sera très probablement respiratoire. Il sera contagieux pendant la période d’incubation, avant l’apparition des symptômes ou lorsque les personnes infectées ne présentent que des symptômes bénins. Enfin, il aura besoin de facteurs spécifiques à la population hôte (par exemple, des personnes non immunisées contre lui) et d’autres caractéristiques de pathogénicité microbienne intrinsèque (par exemple un taux de létalité faible mais significatif), autant de traits qui, ensemble, augmentent considérablement la propagation de la maladie et l’infection. D’autant que, parmi les critères, les chercheurs ajoutent que cet agent pathogène se distingue par le fait qu’aucun traitement direct ou méthode de prévention n’existe à ce jour contre lui.

Parmi tout le bestiaire de microbes que les chercheurs ont analysé, ils en distinguent une famille particulière : celle des virus à ARN comme le coronavirus du SRAS par exemple. Les chercheurs recommandent donc de fixer comme une grande priorité la surveillance des infections humaines causées par des virus à ARN d’origine respiratoire. Des programmes de recherche clinique visant à optimiser le traitement des virus à ARN à diffusion respiratoire devraient être mieux financés. Enfin, les auteurs du rapport appellent à un renforcement de la priorité de la recherche sur les vaccins contre les virus respiratoires à ARN, y compris un vaccin antigrippal universel.

Résultat : rien.

Ils savaient

Ces messages datent de 2018. Ils ont sans doute été lus et vus par des cohortes de responsables dans le monde. Les politiques, les gouvernants, les autorités sanitaires des États en avaient connaissance. C’est incontestable.

Ont-ils pour autant pris les mesures qu’il fallait ? La même année 2018, en France, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a-t-elle vérifié les stocks de masques dont le pays a besoin ? S’est-elle demandé si nous disposions de suffisamment de lits de réanimation ou de respirateurs, ou de matériels de test ? Qu’ont fait ses collègues dans les autres pays ? Le président Trump a-t-il pris les mesures pour protéger les citoyens américains de la vague épidémique qui va déferler sur son pays ? Certes il a un mot d’excuse : il était très occupé à twitter des âneries. Quelles mesures a pris le monde face à la bombe à retardement épidémique qui menace d’exploser en Afrique ?  

Alors que les annonces de la catastrophe se faisaient plus pressantes…
https://twitter.com/intent/tweet?text=A ... o/?p=40431

Alors que les annonces de la catastrophe se faisaient plus pressantes écrit le biologiste Eric Muraille, le sous-financement et la gestion managériale de la recherche fondamentale ainsi que des services de santé réduisaient, en France notamment, notre capacité d’anticiper et de répondre aux épidémies. Chercheurs précarisés, réseaux coopératifs entre équipes de recherche fragilisés, cette situation ne favorise pas le maintien des compétences et l’exploration de nouveaux domaines de recherche pouvant contribuer à mieux connaître les agents infectieux émergents et à identifier les nouvelles menaces. La pratique du flux tendu dans les hôpitaux, devenue la norme, qui réduit leur capacité à faire face à des crises sanitaires majeures. Les baisses de financement de ces services publics depuis des années comme la gestion court-termiste du système de santé publique a, de facto, éteint toute capacité d’anticipation. Le président Macron a bien juré dans son allocution du 20 mars : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». N’est-ce pas déjà trop tard ?

Il faudra bien un jour ou l’autre tirer les leçons de cette crise sanitaire qui secoue le monde. D’autant que les catastrophes ne manqueront pas de se reproduire. Climatiques cette fois-ci. Elles aussi sont annoncées à cor et à cris. Nous savons que nous aurons dès l’été prochain des épisodes caniculaires meurtriers, peut-être même avant que nous ne soyons remis de l’épisode coronavirus. Nous savons que la mer grignote les côtes partout sur la planète. Nous savons que des millions de réfugiés climatiques vont s’agglutiner aux frontières. Nous savons que le monde va devenir irrespirable, nous savons que notre alimentation, notre eau, nos enfants sont en danger.

Nous savons
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Nobody
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Pensée à tous les éducs et moniteurs éducateurs (et en tant que fille de, je connais particulièrement bien les sacrifices que c'est, pour la vie de famille aussi, parce que moi j'en ai voulu à ma maman de jamais me border le soir petite parce qu'elle rentrait à 10h, parce que quand on est enfant on comprend pas tout ça, retraite bien méritée maman❤️)

Nous, les éducateurs spécialisés, nous sommes des soignants !

C’est quoi être éduc ? Cette question est au cœur de mes pensées... En ces temps troublés, il n’a jamais été aussi important, pour moi, de définir notre fonction. Et rien qu’en écrivant cela, je me sens déjà perdue... Non pas parce que « je ne sais pas », mais parce que « je ne sais pas par où commencer ». Et si l’on définit exactement ce statut, il est clair que l’on oubliera tel ou tel aspect du métier, tant il est complexe, vaste, riche de sens et de compétences, polyvalent et différent en fonction des secteurs. Et pourtant, un jour, il faudra y passer... Pourquoi ? Pour faire exister, légalement, statutairement parlant, aux yeux du fédéral, une fonction, un poste, qui est essentiel dans le secteur du social, du non marchand. Pour protéger ce métier. Pour le faire perdurer. Pour qu’il soit revendiqué et que l’on puisse se sentir légitime.

Saviez-vous que, encore récemment, tout le monde ou presque pouvait être éduc ? Mais les éducs, avec leur baccalauréat et leurs spécialisations, sont voués à être éducs, à moins de se lancer dans des formations de 4 ans, en master, pour obtenir encore un autre diplôme... Impossible, ou presque, de postuler comme AS, comme psycho, comme thérapeute familial, non non non.. Et pourtant, si vous saviez ce que l’on est amené à faire dans notre travail !

La base, c’est la relation
Je vous donne une idée ? Alors... la base c’est la relation : on s’occupe donc de « bénéficiaires ». Voilà... Précisons ? Alors... s’occuper d’eux signifie : s’occuper de leurs soins de base (manger, boire, dormir, se laver, les faire se sentir en sécurité), s’occuper des soins corporels, du nursing comme on dit chez nous, les habiller, veiller à ce qu’ils aient de quoi être correct, les amener à l’école, ou au boulot, ou à des rendez-vous extérieurs, les accompagner dans le travail scolaire, faire à manger, s’occuper du lieu de vie (de la vaisselle aux lessives, en passant par le rangement, parfois/souvent le nettoyage), entretenir les locaux (tout éduc a une trousse à outils là où il/elle bosse), déménager, aménager des meubles, penser à l’amélioration du lieu de vie, créer des outils pour les bénéficiaires (calendrier, tableau des charges, charte du vivre ensemble, roue des émotions, etc), animer des ateliers, porter ces ateliers toute l’année, écrire, laisser des traces écrites de ces ateliers, mais aussi de la vie quotidienne, des entretiens que l’on fait, que ce soit avec le jeune, avec sa famille, avec les intervenants sociaux que l’on rencontre.

C’est rédiger des rapports éducateurs, créer, penser des projets individualisés en équipe, c’est savoir utiliser un ordinateur, des programmes spécifiques où tout consigner. C’est savoir retranscrire à l’écrit ce que le bénéficiaire vit au jour le jour, pour laisser une trace, une preuve, un suivi de son parcours. C’est participer à la vie institutionnelle, penser le projet au-delà de son lieu de vie. C’est savoir gérer ses heures, négocier ses vacances en fonction des besoins du service. C’est revenir en urgence quand il y a un problème dans l’unité. C’est travailler le soir, le matin tôt, les week-ends, les nuits, les jours fériés. C’est gérer des pleurs, des colères, des crises, des contentions, des isolations, des dépressions. C’est vivre des moments hard ensemble : décès, licenciement, remise en question,...

Mais aussi, heureusement, c’est vivre des joies, des petites victoires, des moments hors du temps que l’on n’oublie pas, être le réceptacle des bénéficiaires, nouer un lien de confiance, le faire vivre pendant quelques mois, quelques années, pour ne plus jamais, ou presque, avoir de ses nouvelles. C’est mordre sur sa chique quand on voudrait sauver tout le monde. C’est donner du temps, bénévolement, pour organiser des fêtes, des ventes, des spectacles, pour gagner de l’argent pour monter des projets, partir en vacances, faire vivre de l’inédit à des personnes inédites.

C’est accepter les contraintes de plus en plus oppressantes du fédéral qui nous demande de tout consigner, de tout justifier, de tout expliquer. Mais comment voulez-vous quantifier un simple petit-déjeuner avec des jeunes où l’on se lève, on s’habille, on gère les disputes, on mange, on répond aux questions, souvent vitales, et qu’ils ont à peine les yeux ouverts, on gère des crises à 8h25 du matin qui ont démarré parce que machin a dit à truc que sa mère était une P***, on s’assure qu’ils se soient lavé les dents, qu’ils aient mangé correctement, qu’ils aient participé aux tâches quotidiennes pour qu’ils apprennent aussi le vivre en groupe, on part à l’école, on parle avec les instits, on donne le relais, on s’assure que le suivi sera fait, on rentre ranger, préparer les vêtements, cuisiner, écrire, souffler, boire un café, donner le relais, rire et décompresser, parce qu’en 1h de temps on a vécu plus de choses qu’en une journée chez soi ! Comment voulez-vous quantifier cela ???

On prend soin de futures générations, des aînés...
Et si nous, on ne le fait pas, qui le fera ? Comment rendre compte de statistiques qui sont issues du social, quand on sait que nos journées ne sont jamais pareilles ! Oui je sais quand je travaille. Mais je sais aussi que le jour où je ne travaille pas, je peux aussi être appelée pour remplacer. Je sais aussi que je dois prendre soin de moi parce que ce travail-là je ne peux pas le faire à moitié. Je sais que la remise en question est essentielle, mais se foutre la paix l’est aussi. Sachant que l’on n’a pas, à chaque fois, de l’aide pour pouvoir continuer à travailler là où on est. Si on a un souci, peu importe lequel, à un moment on est amené à travailler notre question ailleurs parce que l’on doit pouvoir continuer à aider l’autre tout en faisant la part des choses avec soi... Et ça, on l’apprend sur le tas ! Comment quantifier quelque chose qui n’est pas quantifiable ? Et pourtant, malheureusement, c’est ce qu’on nous demande de plus en plus.

On prend soin de futures générations, de jeunes en marge de la société, de personnes handicapées, de personnes toxicomanes, alcooliques, psychotiques, schizophrènes, folles, qui ont vécu un ou plusieurs viols, qui ont été abandonnées, maltraitées, humiliées, traitées comme des merdes, des personnes qui n’ont plus où se loger, de familles qui ont besoin d’aide pour mieux fonctionner, de bébés qui ne sont pas en sécurité chez eux, de jeunes délinquants qui veulent faire flamber la société tant ils sont en colère, d’enfants autistes pour qui les places en institution sont de plus en plus rares, de jeunes filles maman bien trop tôt...

On s’occupe de vos personnes âgées qui ne peuvent plus vivre chez elles ou dans leur famille. On s’occupe de toutes ces personnes-là, et bien plus encore... Quand on nous demande le travail que l’on fait, et que l’on répond « éduc », la réponse la plus courante serait sûrement : « Oh lalala ça doit être dur. Je ne pourrais pas faire ce que tu fais ! ». Et pourtant, on fait au quotidien ce que chaque parent, chaque tuteur, chaque personne devrait faire avec toutes ces personnes-là. Sauf que nous, on est spécialisés, on a choisi de le faire. C’est, pour beaucoup, une vocation, une évidence. Alors oui c’est dur, mais non ça ne l’est pas. C’est comme ça, c’est notre métier.

On continue ! Mais dans quelles conditions ?
Alors aujourd’hui, pourquoi vous écrire tout ça ? Parce que à l’heure du COVID-19, on parle de toutes ces professions reconnues et visibles qui se battent pour continuer à bosser, pour permettre à la population de garder une vie digne et confortable. Merci à elles, évidemment !! Mais qui s’occupe de toutes ces personnes qui sont placées ? Qui s’occupe de toutes ces femmes violées, battues, qui ne peuvent pas rester chez elles ? Qui s’occupe des personnes âgées quand les visites sont interdites ? Cette semaine, on a dû expliquer à des enfants âgés de 6 à 11 ans qu’ils ne verraient plus leurs proches pendant 1 mois... 1 mois !! Pour des petits bouts, c’est énorme ! Et pour nous, impensable que le travail s’arrête, impensable ! On continue ! Mais dans quelles conditions ?

Avec la peur au ventre, avec le stress généré par la société, avec l’anxiété véhiculée par tous ceux autour de nous, avec la crainte d’être contaminés, d’être porteur sain et de transmettre ce virus à nos proches, ou de développer les symptômes. On continue, en essayant de protéger nos bénéficiaires pour amortir le choc, adoucir un peu les choses et que ce qu’ils vivent soit deux fois moins traumatisant que ce qu’ils ont déjà vécu dans leur vie. On continue, sans forcément avoir les moyens de se protéger du virus. Pas de masques, pas de gants. Des locaux désinfectés, mais les jeunes sont là. Un gamin de 6 ans à qui on dit « pas de bisous, pas de câlins, pas de contacts » alors qu’avant c’était possible, comment peut-il comprendre ça ? On le fait, pour respecter les règles de social distancing, mais bon sang que j’aimerais que là-haut, dans les hautes instances, ils viennent, même en combinaison, voir les conséquences de toutes ces mesures. Elles sont essentielles, certes, mais pas réalistes à 100% dans notre métier.

Je sais que dans beaucoup d’institutions, la question même du gel hydroalcoolique n’est pas garantie. Alors on fait ce qu’on peut, on suit les procédures, on adapte notre travail, qualité tellement essentielle de l’éduc, et on rattrapera les dommages collatéraux de tout ça une fois la crise passée. Mais quel impact aura tout ça sur nous ? Je ne sais pas, et ça m’inquiète... Va-t-on continuer à faire l’autruche et à réduire les budgets du social ? Va-t-on mettre l’argent ailleurs que dans les soins ? Oui une institution, un hôpital, c’est cher, et ça ne rapporte pas. Mais dites-moi : Où ALLEZ VOUS mettre ces jeunes si ce n’est pas chez nous ?? Comment allez-vous les aider s’il n’y a plus d’aide adaptée ? Comment allez-vous prendre soin de toutes ces personnes si les professionnels qui s’en occupent ne peuvent plus le faire ?? Comment allons-nous rester dignes en tant qu’intervenants sociaux, éducateurs, soignants de l’état psychique de personnes fragilisées ? Comment ?

Alors oui, nous sommes des soignants ! On est des soignants de ce qui ne se voit pas, mais on soigne l’autre pour qu’il puisse, un jour, retrouver une place dans la société. Alors, s’il vous plaît, faites passer ce texte au plus grand nombre. Faites entendre notre existence, faites lire notre métier, pour que l’on puisse exister et être reconnu dans cette société où le social doit être rentable !

Une éducatrice

Source : https://pro.guidesocial.be/articles/car ... nants.html
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Meduse
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"Alors oui on est des soignants"
Ce texte est il en réaction à cette vidéo?


Pour rebondir et extrapoler @Charlotte
https://www.franceinter.fr/emissions/le ... -mars-2020
(C'est un audio pour changer ;) )
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La lutte elle-même suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
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suffragettes AB
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une tribune d'un mec mort en 2008 qui avait prédit en 2003 dans un hebdo belge tout ce qu'il se passe aujourd'hui, Marc Moulin :), une imagination si précise, ça laisse songeur…

https://www.moustique.be/25736/le-confi ... 2K97jBizN0
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CellarDoor
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suffragettes AB a écrit : 31 mars 2020, 14:06 une tribune d'un mec mort en 2008 qui avait prédit en 2003 dans un hebdo belge tout ce qu'il se passe aujourd'hui, Marc Moulin :), une imagination si précise, ça laisse songeur…

https://www.moustique.be/25736/le-confi ... 2K97jBizN0
Puisque la boucle temporelle est récurrente ces derniers temps, je dirais qu'à force de dire tout et n'importe quoi, on finit toujours par avoir raison :-)
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16h : Je me réveille, après une petite journée de sommeil entrecoupée par les flashs de ce que j'ai vécu cette nuit au travail. J'ai la boule au ventre de savoir que cette nuit encore je dois retourner travailler, c'est la sixième que je fais d'affilé, sans repos. Certains me disent de me reposer, mais comment faire pour accepter de rester chez soit alors que c'est la guerre dans mon service? Ma conscience professionnelle me pousse à aller travailler, à accepter le risque d'être au front alors que je suis épuisée et que tous mes proches s'inquiètent pour moi. Car oui, une infirmière n'est pas un super héro, nous aussi nous avons des sentiments, des émotions, de la peur, nous sommes tous et toutes humains. Mais je prend une grande inspiration, et je décide de me lever pour aller aider mes patients qui sont entre la vie et la mort.

17h : Ca fait actuellement une heure que je suis sur mon téléphone. Je lis l'actualité, je vois dans les médias que les mesures demandées par le gouvernement ne sont pas respectées, que les gens continuent à sortir, sans doute qu'il se sentent supérieur à tout cela. S'ils savait... Je lis les nombreux messages reçu par ma famille, par mes amies, par des connaissances parfois perdues de vue depuis de nombreuse années. Ces messages me font chaud au cœur, ces petites attentions quotidiennes me donnent un peu de courage, tous me disent merci, certains prennent des nouvelles tous les jours voir plusieurs fois par jours, et ne s'offusquent pas quand je ne répond pas pas rapidement ou parfois juste pas du tout car je suis au boulot, certains sont juste intelligent et comprennent la situation, d'autre beaucoup moins. Tous me disent de faire attention à moi. Mais comment ? Les heures s'enchaînent, les situations compliquées se multiplient, les décès arrivent en masse, la peur me gagne mais je veux pas lâcher la bataille. C'est aussi là que je remarque que certaines personnes "proches" n'ont pas ce genre de petite attention, que certains jouent au mort depuis le début de cette bataille, ca me détruit le coeur, mais je n'ai pas le temps pour m'occuper de ça maintenant, mais ce sont des choses qui resteront gravées, autant les attentions positives et le soutient infaillibles de certains, que l'ignorance des autres. Le téléphone sonne, ma maman m'appelle, elle ne sait pas ce que je vis au travail, nous entamons une conversation lambda, puis le ton monte, je m'emporte quand j'entends qu'elle aussi ne respect pas le confinement. J'ai envie de la supplier de rester chez elle, de lui dire que j'ai peur pour elle, pour sa vie, que je n'ai pas envie que ce soit la prochaine patiente qui meurt sous mes yeux impuissants. Visiblement malgré mes explications elle ne semble pas comprendre. Je suis frustrée. Je raccroche, je pleure, je suis au front et pourtant tellement impuissante pour faire comprendre à mes proches que j'ai peur pour eux.

18h : J'ai besoin de prendre des forces, mais comment faire ? D'habitude je vais voir mes amies, après quelques petite blagues balancées devant une bière, l'énergie revient. Mais confinement oblige, je sais que cela est impossible. J'appelle mon neveu, sont ignorance me fait sourire, pour lui sa tata se bat contre le méchant virus, je peux pas pleurer, je ne peux pas le decevoir, j'ai envie de me battre pour lui, j'ai envie de le serrer dans mes bras, qu'il me donne de la force, mais confinement oblige, je sais que cela est impossible. Je raccroche, j'essaie de gérer mes émotions, un échec de plus, je pleure.

19h : Je sais que dans moins de deux heures une longue nuit de travail s'annonce, j'ai peur, un nœud se forme dans mon ventre. J'essaie d'avaler un repas pour prendre un peu de force, mais rien ne passe. Je vais me nourrir d'un troisième appel, j'ai encore besoin de réconfort. Je décide d'appeler une amie, pour la centième fois depuis le début de cette épidémie, elle me demande de prendre soin de moi, de me reposer, je sens à sa voix qu'elle a peur pour moi. Quelques larmes coulent que j'essaierai de camoufler tant bien que mal, car je ne veux pas paraître faible face à eux qui me pensent si forte.

20h : Je prend ma voiture, je roule jusqu'au CHU où je travaille, en chemin je croise plusieurs personnes entrain de courir, j'ai envie de m'arrêter et de les traiter d'inconscient. Plus loin je croise un groupe de jeune, ma colère grandis, mais je reste calme, enfin j'essaie, car intérieurement je bouillonne. J'arrive au CHU, je croise quelque collègue sur le parking, certains ont le visage fermé, d'autres exposent leurs craintes, certaines rigolent, mais je sais que tout le monde a dans un coin de sa tete ce foutu coronavirus. Dernière cigarette avant de s'enfermer pour 10 heures avec cette blouse blanche sur le dos. Je me change, j'ai l'impression de mettre une combinaison anti émotions quand je mets cette blouse, je sais que je vais devoir rester forte peu importe le prix.

21h : Je prend ma relève, ce soir je suis dans un secteur de 5 lits de réanimation. Nous sommes trois pour veiller sur nos patients. Deux infirmières et une aide soignante. Cela, c'est l'effectif "standard". On nous avait parlé d'effectif supplémentaire ? Mais où sont-ils ? A si, effectivement, je découvre que l'aide soignante avec qui je travaille est en renfort dans mon service. A la base elle travaille en pneumologie. A l'intérieur, le stress augmente en apprenant que c'est sa toute première nuit en réanimation. Dans le contexte actuel devoir former quelqu'un d'extérieur au service est une charge de travail immense. Tout ca me rajoute donc une charge de travail alors qu'on nous avait annoncé des renforts formés. Passons, les déceptions ne se comptent même plus. Je prends donc sous mon aile cette nouvelle recrue qui est présente pour 3 nuits, car la direction de l'hôpital a décidé qu'il était mieux de faire tourner les renforts (bien sûr, c'est logique, si jamais parfois on arriverais a les former un peu pour qu'ils nous aide sur le long terme, autant choisir la difficulté est changé constamment de personne pour endurcir la difficulté). Je rappelle que normalement une aide soignantes est doublée (formé) 2 semaines avant d'être lachée en réanimation, et qu'une infirmière 4 semaines. Bon... Soit. Apparament en période de crise mettre l'équipe et les patients en sécurité ce n'est pas une priorité.

22h : Après 30 minutes pour expliquer a cette aide soignante très très brièvement le fonctionnement du service, ce qu'est un patient de réa, je réalise que je suis en retard. Que je suis dans le service depuis 1h mais que je n'ai pas encore vu un seul de mes 2 patients. Je me prépare donc pour rentrer dans la chambre de Mr A. 44 ans admis en réa pour un Covid-19, il est le papa d'une petite filles de 9 ans et d'un garçon de 6ans. Il s'est marié avec sa femme l'année dernière après le décès de sa première femme d'un accident de la route qui l'a emporté elle, et sa petite fille de 6 mois. Le contexte est posé. Ce monsieur j'étais présente a son entrée. C'est lui qui m'a raconté tout ça. Il m'a même fait sourire a plusieurs reprise tellement sa joie de vivre était contagieuse. Il est arrivé sous 6 litres d'oxygène au masque, nous l'avons donc intubé rapidement pour essayer d'améliorer sont état respiratoire. Je me rappelle lui avoir tenu la main pendant que nous l'avons endormi, il me fixait, je voyais la peur dans ses yeux vert. Il ma serré très fort la main, ma supplié de pas le laisser mourir car il voulait voir grandir ses enfants, c'était ses derniers mots avant de s'endormir après mon injection de Kétamine. .

23h : Je me prépare donc a rentrer dans la chambre de Mr A avec cet habillage du tonnerre : blouse, sur blouse, tablier étanche, masque, FFP2 lunette, sur chaussures, calot de bloc, 2 paire de gant remontant jusqu'au coude. Je vous laisse imaginer l'angoisse pour les patients quand ils sont conscients et qu'ils nous voient arriver ainsi. Je rentre donc dans sa chambre. Mr A est dans un coma artificiel, sous respirateur, hemofiltré, avec toute un tas de dispositif médicaux autour de lui. Comme à mon habitude, je parle au patient, en sachant très bien que je n'aurais aucune réponse. "Bonjour Mr A. Je suis *** l'infirmière que vous avez eu a votre entrée, c'est moi qui veille sur vous cette nuit. Vous inquiétez pas tout vas bien ce passer". Je règle toutes les machines qui permettent à mon patient de rester en vie quand j'entends toquer à la vitre. Je me retourne, le médecin m'écrit sur une ardoise que nous devons mettre Mr A en décubitus ventrale (eh oui car quand on est dans la chambre d'un patienr Covid-19 on est coupé du monde, impossible de communiquer de vive voix, alors on s'écrit sur une ardoise quand nous avons la chance d'en avoir une, on hurle, on fait des mimes, enfin on essaient d'être inventif car apparament là aussi avoir un téléphone dans chaque chambre pour travailler en sécurité afin de joindre ses collègues médecins ou infirmier quand il y a un problème n'est pas une priorité. Soit). Je prépare donc Mr A. Scotch, vitamine A, enfin tout pour que cet acte se passe bien. 6 collègues habillés en cosmonaute débarquent dans ma chambre, on se croirait dans un film, mais non c'est bien la réalité. Nous finissons le retournement, par manque de temps à consacrer à mon patient, je sors car il est bientôt minuit et je n'ai toujours pas eu le temps de voir Mr B, j'ai uniquement relevé ses constantes à travers la vitre, sans être rentrée dans sa chambre.

Minuit : Le téléphone sonne, ma collègue décroche, c'était la femme de Mr A qui appelle pour avoir des nouvelles. Je suis malheureusement occupée elle s'excuse et lui demande de rappeler d'ici 30 minutes. J'étais dans la chambre de Mr B. 65 ans, retraité infirmier depuis 4 ans. Papa de 4 enfants, grand père de 3 petit enfants et l'heureux arrière grand père d'une petite puce depuis 1 mois. Soigner un collègue c'est toujours une sensation particulière, ça reste un homme que je ne connais pas, mais qui a vécu tant de situation similaire au mienne. J'imagine sa vie d'infirmier libéral pendant un court instant, puis je me ressaisi. Je sors de la chambre, je suffoque sous ce masque qui me permet de soigner mes patients, mais qui me déshydrate au plus haut point. Je prépare une quinzaine de pousse seringue, une dizaine de pochon de perfusion, je peste contre les medecins qui écrivent comme des romains, et que je peine à déchiffrer. Je fais quelques calcul de doses, quelques relevés de constante à traves la vitre de la chambre, prépare mes bilans sanguins quand je suis interrompu par ce fichu téléphone. C'était la femme de Monsieur A au téléphone, elle s'excuse de m'embêter mais elle est inquiète et aimerait avoir des nouvelles. Elle me dit qu'elle cherche à nous joindre depuis 16h sans succès, il est actuellement un peu plus de minuit. Elle n'est pas énervée, juste très inquiète. Je m'excuse à mon tour pour cette difficulté et lui explique brièvement nos difficultés. Je lui donnes quelques nouvelles de son mari, elle me pose tout un tas de question, quand vient le moment du "Dîtes moi s'il va mourir ?" ma gorge se serre, j'ai envie d'être partout sauf ici a ce moment préci. Ma réponse est fuyante "la situation est très grave Madame, les risques sont grands, mais nous ne savons pas comment les choses vont évoluer, tout ce que je peux vous dire c'est que je vous promet de tout faire pour que votre mari rentre vers vous 3." Je lui dis ca en sachant qu'un patient Covid-19 à seulement 25% de chance de s'en sortir. Mais je ne peut pas lui dire ça, j'y vais en douceur, enfin façon de parler. Madame A me demande mon âge, je lui dit que j'ai un peu plus que la vingtaine. Surprise, elle font en larme en me disant ces mots qui on raisonné un long moment dans ma tète "Vous avez la vingtaine, vous pourriez être ma fille, et c'est vous la dernière personne que mon mari va voir avant de mourir ? C'est vous aussi jeune que vous êtes qui veiller sur mon mari alors que moi sa compagne depuis 14 ans je n'ai pas le droit de le voir ? " elle avait raison. Je suis jeune, je suis encore novice, ses propos m’ont déstabilisée. Elle finit en me disant merci, en me faisait encore promettre de le sauver, en me disant qu'elle compte sur moi. Je raccroche après 25 minutes au téléphone. Ma collègue voit la tristesse dans mes yeux, elle pose sa main sur mon épaule, me regarde dans les yeux et me dit que ca va aller. Je prend une grande inspiration et retourne préparer mes médicaments en étant un peu ailleurs.

1h : Les médecins font leur visites, eux aussi son fatigués, mais ils prennent le temps de parler avec nous, de nous demander de nos nouvelles, de s'inquiéter de savoir si on tient le coup. Plusieurs de nos collègues sont touchés, hospitalisé pour les cas les plus graves, où sur le terrain pour celles qui tiennent encore debout car l'ARS estime qu'une infirmière atteinte du Covid-19 doit malgré tout venir travailler (Notre santé n'est pas une priorité, mais ca ce n'est pas une nouveauté). Quelques minutes plus tard ils nous annoncent une entrée d'un homme de 72 ans atteint du Covid-19, ma collègue s'empresse donc aller préparer la chambre. Je me prépare à nouveau pour rentrer dans la chambre de Mr B. quand je vois que Mr. A commence a ne plus aller du tout bien, sa tension s'écroule a vu d'œil, j'appelle a l'aide pour que mes collègues m'aident à m'habiller rapidement. J'ai qu'une envie, foncer dans la chambre quitte a prendre des risques pour ma santé, mais non je pense à mes proches, je dois être raisonnable. Son taux d'oxygène dégringole le temps que je finisse de m'équiper. Je rentre dans la chambre, augmente les médicaments pour sa tension, augmente ses apports en oxygène. Mes collègues se tiennent prêtes derrière la porte. Je suis stressée seule dans cette chambre avec le cœur de mon patient qui va s'en doute s'arrêter d'une seconde à l'autre, je vois les médecins arriver derrière la vitre au même moment où Mr A fait un arrêt cardiaque. Je suis un peu déboussolée, pendant 2 secondes je réfléchis par quoi commencer, habituellement nous sommes nombreux durant un arrêt cardiaque, là je sais que j'ai de longues minutes seule. Je degonfle le lit, met mon respiration à 100%, grimpe sur le lit et commence à tenter de reanimer Mr. A. Je suis concentrée, la pensée de ses enfants me traverse l'esprit mais je m'interdis d'y penser. Je lui dit de s'accrocher, enfin je crois plutôt que je lui hurle dessus en lui disant. Un médecin et une collègue infirmière arrivent à mon secours. Elle me relait au massage cardiaque, pendant que j'injecte les drogues. Aucun signe de vie pour le moment. Nous nous relayons au massage cardiaque, nous souffrons physiquement, ca fait 20 minutes que nous tentons de le reanimer a deux, mes mains sont douloureuses, mais je j'y pense pas. Dernier choc électrique, quand Mr A reprend ENFIN un rythme. Nous pouvons souffler 5 minutes. Le médecin me félicite de mon sang froid. Je crois qu'à ce moment là je ne l'écoute pas. Je suis ailleurs. Il y a un silence pesant dans la chambre. Tout le monde est un peu déboussolé, pourtant nous avons l'habitude de gérer ce genre de situations, mais le contexte perturbe tout le monde je crois. La fatigue se fait ressentir et puis la peur qu'un jour ce soit nous dans ce lit, comme si cette épidémie avait provoqué une prise de conscience chez les soignants. Le médecin et ma collègue sortent de la chambre pour aller voir d'autre patients. Je finis ce que j'ai a faire puis sort pour aller voir Mr B.

2h : J'ai envie de boire, d'aller au toilette, de manger, je suis là depuis 6 heures et je n'ai pas eu le temps pour rien de cela. Après les péripéties avec Mr B. Je ressens le besoin de me poser un instant. Mais ma collègue est débordée, alors je pars l'aider. Je croise les médecins en chemin. Ils me disent qu'ils pensent ne pas prendre l'entrée de 72 ans car un jeune de 27 ans décompense dans les étages. Je pense qu'ils lisent dans mon regard mon incompréhension. 72 ans ? Oui c'est âgée mais... On ne vas pas refusé de lui donner sa chance ? La réponse était si. Ils nous restent qu'une place, ils faut prioriser. Prioriser avec la vie d'autrui. Drôle de concept.

3h : Mr C arrivent dans mon service, je prends ce monsieur en charge, je me retrouve donc avec trois patients Covid-19 ce qui est tout simplement ingerable en réanimation. Normalement nous ne devons pas en prendre plus de deux par infirmière, ce qui est déjà énorme avec des procédures d'habillage et de déshabillage aussi lourdes. Mais par soucis de manque d'effectif je me retrouve en difficulté, une fois de plus. Merci la direction du CHU ! Ce jeune homme est angoissé de nous voir habillé ainsi. L'éternelle question du "Madame je vais mourir ?" me déstabilise toujours autant mais j'essaie d'y répondre avec calme, sincérité mais réassurance. Je discute un peu avec lui pour tenter de lui expliquer ce qu'il va se passer quand j'entends le scope sonner en alerte maximum. Je m'excuse auprès du patient, me déshabille et sort en courant. Je vois en sortant que Mr A refait un arrêt cardiaque, je m'habille le plus vite possible, j'appelle a l'aide mais personne ne vient. Mon aide soignante a disparu, ma collègue infirmière est enfermée dans une chambre. Je n'ai pas le temps de prendre le téléphone, la survie de mon patient en dépend. Je m'habille aussi rapidement que possible en voyant le tracé plat de l'ecg. Je hurle de toute mes forces, quelques secondes plus tard 4 collègues débarquent les yeux écarquillés.
Ils entendent au bruit du scope le problème. Je leur dit d'appeler le médecin et court dans la chambre. Je saute sur le lit et commence a masser Mr A. cette fois si je suis stoïque, je ne pense à rien, juste à le sauver. Je n'ai aucune notion de temps, j'ai perdu pied avec la réalité à ce moment là. Tout ce que je sais c'est que mes mains me font mal et que j'ai peur. Une fois de plus je suis seule avec un homme en arrêt cardiaque sous mes mains, et j'attends impatiemment que du renfort arrivent. Une collègue arrive enfin dans la chambre, elle modifie les paramètres respiratoires, gère les médicaments. Nous nous relayons au massage. Les médecins arrivent. Je vois à leur tête leur inquiétude. Deuxième arrêt réfractaire sans étiologie connue en moins de deux heures ça ne présage rien de bon. Nous continuons la réanimation pendant encore une trentaine de minutes. Rien n'y fait. Monsieur A rejoint sa petite fille au paradis a 3h58. Les larmes montent quand je lui ferme les yeux. Je suis seule avec lui dans cette chambre où je l'ai accueillis quelques jours plus tôt. Dans cette chambre où il m'a parlé de sa femme, de ses enfants, dans cette chambre où je lui ai dit que j'allais tout faire pour le sauver. Dans cette chambre où il m'a fait rire. Je suis là, toute seule avec ce corps. Avec cette haine contre ce coronavirus, avec ma culpabilité. J'ai envie de sortir prendre l'air, de hurler, mais je dois continuer a prendre soins de mes deux autres patients. Je n'ai même pas le temps de procéder a sa toilette mortuaire.

4h : Je retourne dans la chambre de Mr. C je rentre quand une collègue m'attrape en me disant "Hé oublie pas tes lunettes de protection" j'étais tellement ailleurs, que non nous ne sommes pas infaillible, et oui j'aurais pu commette une erreur qui m'aurais peut-être coûter une contamination. En rentrant cette fois ci bien équipée, je vois Mr C. Il me pose des questions sur mon départ précipité. Je lui explique qu'un autre patient n'allait pas très bien sans m'étendre. Il me demande s'il est mort. Je déteste ces questions. J'ai envie de pleurer, encore. Je lui ments, je lui dit que non. J'ai plus les mots, je m'en veux. Malheureusement Mr C se dégrade au niveau respiratoire, sont recourt à l'oxygène se majore. Je suis obligée de l'augmenter régulièrement. Je demande à travers la vitre à ma collègue de prévenir un médecin. Quand il arrive il me demande de le préparer pour l'intubation. Je dois donc expliquer à mon patient de 27 ans que nous allons le plonger dans le coma, lui mette un tuyaux dans la bouche, qu'une machine va respirer à sa place et qu'il a 70% de risque de mourir. Très bien. J'aime mon travail. Je prends le temps de lui expliquer, de répondre a ses question, Mr C font en larme alors que cinq minutes plus tôt il était entrain d'envoyer un snap à sa femme, et de lui dire qu'il avait une super infirmière. Les médecins rentrent, nous plongeon Mr C dans un coma artificiel, procédons a l'intubation, au technicages divers et variés. Je suis devant lui, seule, ce jeune homme qui à presque mon âge, sans antécédent se retrouve dans un coma artificiel. Branché de partout, mais sinon oui, le coronavirus c'est juste une bonne grippe. Je suis triste, énervée. Je monte une épuration extra rénal et ma collègue aide soignante n'étant pas formé pour m'aider je me débrouille toute seule avec bien des difficultés pour la brancher au patient. Je sais que j'aurais perdu un précieux temps de tout lui expliquer. Je préfère me mettre en difficulté, enfin je préfère non, par soucis de temps je prend cette décision. Ma collègue me fait signe de sortir, c'est elle à son tour qui a besoin d'aide. Je me dépêche donc de sortir. Son patient fait une hémorragie interne, il faut le pousser de toute urgence au scanner, je l'aide donc à préparer ce transport à haut risque.

5h : En sortant de la chambre j'entends le téléphone sonner, en décrochant je reconnais la voie de madame A. Ma gorge se serre, mon souffle se coupe. Je pensais que les médecins lui avait dit. Elle m'explique qu'elle a eu un message de l'hôpital lui demandant de rappeler le service rapidement. Mais qu'elle n'arrivait pas à nous joindre. Je n'ose pas envisager ce que cette femme a ressenti pendant 1 heure sans réussir à nous joindre. Je sais que les médecins sont occupés, certains au scanner et d'autres avec un patient du secteur d'à côté qui ne va pas bien du tout. Elle me demande à plusieurs reprise ce qu'il se passe, je suis coincée je ne veux pas lui dire, je ne peux pas lui passer les médecins. A ce moment là je suis comme paralysé. Ma bouche sort un "je suis sincèrement désolée madame". Madame A. hurle au téléphone me supplie de lui dire qu'il n'est pas mort. Je réitère mes propos. Je n'ai pas les mots. Je lui dit que malheureusement nous n'avons rien pu faire. La conversation dure une vingtaine de minutes où je lui explique ce qu'il s'est passé. Je parle tel un robot en essayant de mettre mes émotions de côté. C'est dur. Vraiment dur. Je raccroche quand les medecins reviennent du scanner, je leur explique que j'ai eu madame A au téléphone. On échange quelque minutes et les galères reprennent le dessus. Je commence à faire mes bilans du matin à mes patients. Mr B chute en oxygène, nous le mettons en urgence sur le ventre. Idem pour Mr C une fois que nous avons reçu les résultats de sa gazometrie.

6h : J'entends une conversation entre médecins qui expliquent que le patient de 72 ans que nous n'avons pas pris est mort sur le petit matin. Mon chef de service a la voie noué, je le connais, il est profondément humain. Je sais qu'il regrette de ne pas avoir pu lui donner sa chance. Il sait que sa décision a couter la vie à ce Monsieur. On le sait tous, on le vie tous mal. On culpabilise tous. On aimerait pouvoir faire autrement, mais par manque de matériels, de personnels formés, c'est impossible. Il me reste encore une heure à tenir, je prépare pour effectuer la toilette mortuaire de Mr avec mon aide soignante. Nous rentrons dans la chambre ensemble mais au bout de quelques minutes ma collègue tombe dans les pommes, la vue du retrait de la sonde d'intubation a été de trop. Je la sors de la chambre tant bien que mal pour lui enlever son masque en pseudo sécurité et l'accompagne en salle de pause. J'ai malheureusement pas le temps de rester avec elle, je ne peux pas laisser ma collègue infirmière toute seule dans le secteur.

6h30 : J'ai donc une collègue sur la touche, une toilettes mortuaire à faire et tout un tas de medicaments à préparer, et plus que trente minutes avant la relève. Mais le téléphone sonne, la femme de Mr C décroche. Inquiète de ne plus avoir de nouvelle de son mari. Les médecins n'ont pas eu le temps de l'appeler pour la prévenir, c'était la guerre dans le service cette nuit. Je lui explique donc la situation. Elle pleure au téléphone, je me sens une fois de plus impuissante face à la question de "Il va mourir ?" j'aimerais tellement pouvoir lui dire que non. Une fois de plus je ne peux pas.

7h : Je vois la relève arriver au moment où je raccroche. Énorme panique qui arrive, j'ai plein de chose non faites, je vais me faire juger, mes collègues vont penser que je suis mal organisée. La répartition se fait difficilement, nous sommes encore en sous effectif avec des renforts pas formés. A ce moment la je pense à certains de mes amies a qui j'en ai parlées et qui ne connaissent pas les spécificités de mon service. Ils me disent que je dois apprendre à faire confiance au renfort et pas vouloir tout gérer. J'aimerais tellement leur montrer qu'être infirmière en réanimation ca ne s'improvise pas. J'aimerais tellement leur dire que si un proche à eux se retrouve dans un lit de réanimation, ils aimeraient avoir quelqu'un de compétent en face de leurs proches. J'aimerais tellement qu'ils arrêtent de juger mon travail sans en connaître les réelles difficultés, car non une infirmière d'une unité de soins conventionnel ne sais pas gérer un patient intubé, un respirateur, une hemofiltre, un picco, une dve, et elles sont beaucoup moins confronté au urgence vital que nous ce qui implique un manque d'automatisme que nous, nous avons. Breff. Après dix minutes de conversation ils trouvent la solution la mieux, enfin la moins pire, pour limiter la casse plutôt. Pendant ce temps j'en ai profité pour préparer tous les pousses seringues pour ma collègue, ainsi que toutes les perfusions. Je les ais recommencé à deux fois car avec la fatigue, j'ai eu un doute sur ce que j'ai fais. Puis, je m'en vais donner les releves à ma collègues en essayant d'être le plus clair possible, de ne rien oublier sans pour autant la noyer sous toute les informations. Cette infirmière est la depuis 3 jours, c'est sont ses premiers jours solo (dois-je rappeller que le doublage d'une infirmière doit normalement d'être de 4 semaines?). Je dois donc tout lui expliquer pour la sécurité de mes patients. Je lui laisse mon numéro perso en lui disant de ne pas hésiter si elle a la moindre question elle peut m'appeller. Elle me pose plein de questions, elle a peur, je suis pas rassurée de lui laisser ces 2 patients en charge, mais je n'ai pas le choix, il faut que je me repose car ce soir j'attaque ma septième nuit de travail.

7h15 : Officiellement je suis censer finir mon travail.

8h : Je finis à peine ma releve, je devrais être partie depuis 45 minutes. Je sais que la matinée va être compliquée, je sais que mes collègues vont en baver. Je m'habille donc et rentre dans la chambre de Mr A pour effectuer sa toilette mortuaire. Toute seule, avec bien des difficultés, je veux lui donner le respect qu'il mérite. Il est mort depuis 4 heures, je m'en veux de ne pas avoir pu m'occuper de lui avant. Je le mets dans cette housse blanche, je la ferme sur son visage, ce visage de mari qui a épousé une femme il y a quelques mois, ce visage de papa qui a vu les premiers cris de ses enfants il y a 9 et 6 ans, ce visage d'un ami, d'un enfant, d'un collègue... J'ai le cœur lourd. Je sors de la chambre

9h : Mes collègues se demande le temps d'une seconde ce que je fais encore là, et me disent d'aller me coucher. Je ne me fais pas prier. Je suis exténuée. Ca fait 13 heures que je n'ai pas bu, que je n'ai pas mangé, que je ne me suis pas assise, que je n'ai même pas eu le temps d'aller au toilette. Je sors de mon service, enleve ENFIN ce masque que je ne supporte plus, descend 1 litre d'eau, mange un gâteau (merci l'hôpital public) en salle de pause. Je vois des collègues de nuit faire un debrif. Je m'assois un instant vers eux. A ce que j'entends nous avons toutes et tous eu une nuit horrible. C'est le cas aussi hors période de coronavirus, mais la le contexte et la fatigue nous font vivres les choses différemment. On essaie de rire, de se changer les idées mais ce matin tout cela a un goût amère. Nous décidons de rentrer chez nous nous reposer, nous devons retravailler ce soir et donc être en forme.

10h : J'arrive au vestiaire, enleve cette armure blanche, et redeviens une civile lambda. J'ai les yeux rouge, des cernes, les mains et les pieds en compote. Je regagne ma voiture. En allant chez moi je croise encore des gens dans les rues, j'ai envie d'exploser, de les insulter, de leur crier toute ma haine. Mais je n'ai plus la force, je pense qu'à dormir. En arrivant chez moi je prends mon téléphone pour la première fois depuis 20h. Je vois sur snap des amies qui on fait une soirée hier soir, je vois sur Facebook un post de ma cousine qui continu a travailler dans un job non essentiel, je vois des personnes pester sur le confinement, je vois tous les témoignages d'infirmière à bout de souffle. Ma haine est immense. Je parle avec quelques amies, je leur dis que je vais mal, que je vie de plus en plus mal cette situation, que j'ai peur, mais personne ne comprend vraiment, pour raison que je ne peux pas tout leur expliquer. Et puis même, on ne peut pas ressentir l'intensité des émotions de ces situations sans les avoir vécu. J'aurais besoin de les voirs, qu'ils me rassurent, qu'ils me prennent dans leur bras et qu'ils me dise que ça va aller, qu'ils me donnent du courage. Mais confinement oblige, c'est impossible. Alors je prend sur moi et je vais essayer d'être forte, une fois de plus.

12h : Je finis d'écrire ce texte, j'ai les larmes aux yeux. J'espère intérieurement que cette vague explication de notre quotidien d'infirmier en réanimation confronté en première ligne au Covid-19 ferra réfléchir les gens qui ne comprennent pas le sens du confinement, que mes proches comprendront que j'ai besoin d'être soutenue, car nous vivons quelques choses d'horrible en ce moment à l'hôpital. Nous avons besoin de vous tous qui devez respecter le confinement pour nous aider. Si nous en tant que soignant prenons sur nous, acceptons d'avoir le moral en berne car nous ne pouvons pas voir nos proches alors que nous avons vraiment besoin d'être soutenu avec ce que nous traversons, vous pouvez vous aussi tous le faire. Nous avons besoin de vous. Sans vous nous ne pourrons rien faire. S'il-vous-plaît, aider nous, respecter les mesures barrière, respecter le confinement si vous ne voulez pas finir dans un lit de réanimation avec une infirmière qui sera obligé d'annoncer à votre conjoint, à vos enfants, à vos parents que vous êtes entre la vie et la mort.

Une infirmière anonyme
La lutte elle-même suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
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suffragettes AB
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""""Très attendue, l’allocution du Président de la République aura donc duré 27 minutes. Le ton n’était pas guerrier cette fois-ci. Tant mieux. Et il a plu des remerciements. À la bonne heure... Mais concrètement ? Les annonces brillent par leurs contradictions. Nous resterons donc confinés jusqu’au 11 mai. À partir de cette date, les crèches et les écoles seront progressivement ré-ouvertes. Ce sont des lieux de contagion par excellence et d’ailleurs, ce furent les premiers fermés au début du confinement car les enfants propagent le plus le virus. Auront-ils les moyens d’assurer la protection ? Sans aucune annonce précise en matière de production de masques et de tests, Emmanuel Macron évoque les gestes barrières qui y resteront nécessaires. Dans une classe de 25 ou 35 élèves, il va vraiment falloir pousser les murs pour assurer les 1 mètre de protection ! Dans les cours de récréation, souhaitons bon courage aux surveillants pour éviter les uns de postillonner sur les autres ! Philippe Klein, médecin français basé à Wuhan, dit que « pour bien réussir le confinement et le déconfinement, les enfants doivent être les premiers à rester à la maison et les derniers à en sortir ». Or le Président a précisé que les étudiants, eux, ne reprendraient qu’en septembre. L’objectif n’est donc pas scolaire… Il s’agit avant tout de permettre aux parents de retourner travailler. Car les étudiants, contrairement aux plus jeunes, peuvent se garder tout seul. La relance de la machine économique a pris le dessus sur la protection sanitaire. La séparation de l’État et du Medef, ce n’est visiblement pas pour demain… Qu’importe les conditions, pourvu que le système se remette en route…
Hier soir, le plan de marche pour combattre le virus, avec de l’anticipation et de l’organisation précise, pour envisager de façon cohérente une sortie du confinement est resté introuvable. Nous savons que le dépistage massif est la clé. C’est le point de vue largement affirmé par les scientifiques. Sommet de contradiction dans le discours de Macron, les personnes qui auront des symptômes de la maladie seront testées mais pas les sujets asymptomatiques. Or ces derniers sont contagieux ! Comment allons-nous ainsi échapper à une deuxième vague de Covid19 ? Ce n’est absolument pas sérieux.
Pour le reste, j’ai peu goûté cette façon, qui n’est pas nouvelle, de faire porter l’essentiel de la responsabilité sur chacune et chacun d’entre nous. Les entreprises non essentielles qui continuent ou reprennent leur activité sans être en mesure de protéger ceux qui travaillent n’ont pas été pointées du doigt mais la réussite du dé-confinement dépendrait de notre seule capacité individuelle à respecter, d’ici au 11 mai, les règles de confinement. Autrement dit, si deuxième vague il y a, ce sera de notre faute et non de celle de l’impréparation gouvernementale. Macron croit sans doute avoir sorti ici son parapluie anti-critique mais la ficelle est vraiment grossière.
Enfin, dans un mouvement douteux de triangulation politique, nous avons entendu Macron évoquer la Révolution française et les Jours Heureux. Diantre. Ces grandes heures de notre histoire sont celles des conquêtes sociales et non des régressions. Comment l’artisan de la fin de l’ISF ou de la contre-réforme des retraites peut-il s’inscrire dans le fil de ces temps de partage des richesses et d’élévation des droits ? Jouant la carte de l’humilité, il a affirmé que la crise sanitaire l’avait lui-même changé. Tel le Guépard, on a le sentiment qu’il prétend que tout va changer pour que rien ne change. Et on se demande au final ce qui est sincère dans son discours et ce qui relève de la pure communication politique. Au regard de la tragédie que nous traversons, il est dangereux de se payer de mots quand on dirige le pays. Le réel ne peut que rattraper ceux qui, aux manettes, auront menti et rendu impossible une sortie du confinement sûre et socialement juste.""""""""
Clémentine Autain
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