Alors la Poésie est venue

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Meduse
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CellarDoor
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Quinze longs jours encore et plus de six semaines
Déjà ! Certes, parmi les angoisses humaines
La plus dolente angoisse est celle d'être loin.

On s'écrit, on se dit que l'on s'aime, on a soin
D'évoquer chaque jour la voix, les yeux, le geste
De l'être en qui l'on met son bonheur, et l'on reste
Des heures à causer tout seul avec l'absent.
Mais tout ce que l'on pense et tout ce que l'on sent
Et tout ce dont on parle avec l'absent, persiste
À demeurer blafard et fidèlement triste.

Oh ! l'absence ! le moins clément de tous les maux !
Se consoler avec des phrases et des mots,
Puiser dans l'infini morose des pensées
De quoi vous rafraîchir, espérances lassées,
Et n'en rien remonter que de fade et d'amer!
Puis voici, pénétrant et froid comme le fer,
Plus rapide que les oiseaux et que les balles
Et que le vent du sud en mer et ses rafales
Et portant sur sa pointe aiguë un fin poison,
Voici venir, pareil aux flèches, le soupçon
Décoché par le Doute impur et lamentable.

Est-ce bien vrai ? Tandis qu'accoudé sur ma table
Je lis sa lettre avec des larmes dans les yeux,
Sa lettre, où s'étale un aveu délicieux,
N'est-elle pas alors distraite en d'autres choses ?
Qui sait ? Pendant qu'ici pour moi lents et moroses
Coulent les jours, ainsi qu'un fleuve au bord flétri,
Peut-être que sa lèvre innocente a souri ?
Peut-être qu'elle est très joyeuse et qu'elle oublie ?

Et je relis sa lettre avec mélancolie.

Verlaine
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CellarDoor
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Retirez-moi du cœur tous mes jardins d’enfance,
Tout ce qui coule encor de trop tendre en mon sang.
Maintenant que ma vie à sa langueur consent,
Je crains, ô souvenir, votre suave offense.


Les réveils d’autrefois ! lorsque dans les rideaux
Le soleil avivait l’odeur de la cretonne,
Et qu’ébloui de joie et d’azur l’on s’étonne
De revoir le jardin et ses bordures d’eau

Jardin tout engourdi de silence et de somme,
Où l’arbre est encor plein des frais soupirs du nord,
Où, dans l’air insensible et faible, rien encor
Ne bouge, ne travaille et n’appartient aux hommes

Jardin fleuri de buis, de verveine et de nard !
— Enfant qui t’asseyais sous les rhubarbes bleues,
Ton sort était léger comme le hochequeue,
Mais, ivre d’avenir, tu te disais : Plus tard !

Tu te disais : Plus tard, quand ce sera la vie !
Quand mes deux mains tiendront le bonheur vague et doux,
Quand mon cœur infini, mon front et mes genoux
Seront lourds de trésors et n’auront plus d’envie !

Cœur qu’un vent de désir chaque jour déplia,
Tu te disais : Plus tard, au temps des beaux voyages,
Respirer l’air, soufré par de secrets orages,
Dans des jardins pleins d’ombre et de magnolias !

— Enfans, regardez bien toutes les plaines rondes,
La capucine avec ses abeilles autour,
Regardez bien l’étang, les champs, avant l’amour,
Car après l’on ne voit plus jamais rien du monde.

Après l’on ne voit plus que son cœur devant soi,
On ne voit plus qu’un peu de flamme sur sa route,
On n’entend rien, on ne sait rien, et l’on écoute
Les pieds du triste Amour qui court ou qui s’assoit.

— Ah ! si l’on t’avait dit que ce que l’on convoite,
Tandis qu’un beau Juin dehors baigne les prés,
C’est d’être tous les deux, dans l’ombre, à respirer
Les chers secrets dormant au creux des paumes moites.

Pauvre enfant qui jouais ! ah ! si l’on t’avait dit,
Quand ton arrosoir vert inondait les groseilles,
Que tes larmes plus tard, aux gouttes d’eau pareilles,
Crépiteraient ainsi par les soirs attiédis !

Si l’on t’avait appris qu’un cœur toujours malade,
Et blessé chaque soir d’ombre et de volupté,
Ne goûte qu’en mourant l’odeur des roses thé
Dans l’air chaud, remué par les cris des pintades ;

Ah ! si l’on t’avait dit, lorsque sous ton chapeau,
Tu riais de tenir du soleil dans tes lèvres,
Que l’été te serait un jour comme une fièvre,
Et qu’enfin ce serait atroce qu’il fît beau !

Chère douleur ! ô seul brisement délectable,
C’est donc vous que du fond des enfantines paix,
Nous attendions, nous appelions, que j’appelais
Quand les trop doux matins défaillaient sur le sable ;

Vous par qui l’on sanglote et vous par qui l’on rit,
— Rire d’inconsolable et mortelle allégresse ! —
O douleur, gardez-nous, que nous soyons sans cesse
Renversés en travers de vos genoux meurtris.

Qu’importe l’épuisante et l’ardente démence !
L’âpre gloire se tient près des plus faibles cœurs,
Faisons de notre vie, illustre par ses pleurs,
Une ville bâtie au bord d’un fleuve immense…

Anna de Noailles
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Son corps léger

Son corps léger
est-il la fin du monde ?
c’est une erreur
c’est un délice glissant
entre mes lèvres
près de la glace
mais l’autre pensait :
ce n’est qu’une colombe qui respire
quoi qu’il en soit
là où je suis
il se passe quelque chose
dans une position délimitée par l’orage

Près de la glace c’est une erreur
là où je suis ce n’est qu’une colombe
mais l’autre pensait :
il se passe quelque chose
dans une position délimitée
glissant entre mes lèvres
est-ce la fin du monde ?
c’est un délice quoi qu’il en soit
son corps léger respire par l’orage

Dans une position délimitée
près de la glace qui respire
son corps léger glissant entre mes lèvres
est-ce la fin du monde ?
mais l’autre pensait : c’est un délice
il se passe quelque chose quoi qu’il en soit
par l’orage ce n’est qu’une colombe
là où je suis c’est une erreur

Est-ce la fin du monde qui respire
son corps léger ? mais l’autre pensait :
là où je suis près de la glace
c’est un délice dans une position délimitée
quoi qu’il en soit c’est une erreur
il se passe quelque chose par l’orage
ce n’est qu’une colombe
glissant entre mes lèvres

Ce n’est qu’une colombe
dans une position délimitée
là où je suis par l’orage
mais l’autre pensait :
qui respire près de la glace
est-ce la fin du monde ?
quoi qu’il en soit c’est un délice
il se passe quelque chose
c’est une erreur
glissant entre mes lèvres
son corps léger

Ghérasim Luca
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Mort d'étoile

Petite étoile de chair, il faudrait tout un monde
Pour écraser ce qui te retient,
Mais n'en est-ce pas un que je tiens dans les mains
Et n'est-ce pas ma voix ce cri de la mappemonde ?
Car je suis l'enchanteur aux épées de silence,
J'ai tout donné de ma puissance sur la mer
Pour toi petite étoile de toute chance
Et je me suis couché dans ton masque de verre
Où l'or était un poids apporté par les yeux;
Mais la nuit est trop froide pour un enchanteur
Et le ciel sait bien où trouver des douleurs
Et je me suis couché dans ces frissons heureux
Bornant le monde à tous les deux.
Un baiser sur les lèvres (l'ai-je bien senti au moins ?)
Ferma mon cœur comme s'il était de trop,
Je n'avais pas compris que l'amour est un galop,
Et je m'envolais aux images du matin.

Ma toute petite étoile c'était notre sommeil
Qui remontait là-haut avec le soleil.
Voici que redescend aux hommes le bonheur
Et tout s'arrête au jour pour un bon enchanteur
Qui garde dans sa fièvre le goût de son bonheur.

Le soleil sort des prisons

Janvier

Jean-Pierre Duprey
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Pablo Neruda a écrit :Vous allez demander: Où sont donc les lilas ?
Et la métaphysique couverte de coquelicots ?
Et la pluie qui frappait si souvent
vos paroles les remplissant
de brèches et d'oiseaux?
Je vais vous raconter ce qui m’arrive.
Je vivais dans un quartier
de Madrid, avec des cloches,
avec des horloges, avec des arbres.
De ce quartier on apercevait le visage sec de la Castille ainsi qu'un océan de cuîr.
Ma maison était appelée
la maison des fleurs, parce que des tous côtés
éclataient les géraniums : c'était
une belle maison
avec, des chiens et des enfants.
Raoul, te souviens-tu ?
Te souviens-tu, Rafael ?
Federico, te souviens-tu
sous la terre,
te souviens-tu de ma maison et des balcons où
la lumière de juin noyait des fleurs sut ta bouche ?
Frère, frère !
Tout
n'était que cris, sel de marchandises,
agglomérations de pain palpitant,
marchés de mon quartier d'Arguelles avec sa statue
comme un encrier pâle parmi les merluches :
l'huile arrivait aux cuillères,
un profond battement
de pieds et de mains emplissait les rues,
métros, litres, essence
profonde de la vie,
poissons entassés,
contexture de toits cernés d'un soleil froid dans lequel
la flèche se fatigue,
délirant ivoire des fines pommes de terre,
tomates recommencées jusqu'à la mer.
Et un matin tout était en feu
et un matin les bûchers
sortaient de terre
dévorant les êtres vivants,
et dès lors ce fut le feu,
ce fut la poudre,
et ce fut le sang.
Des bandits avec des avions, avec des maures,
des bandits avec des bagues et des duchesses,
des bandits avec des moines noirs pour bénir
tombaient du ciel pour tuer des enfants,
et à travers les rues le sang des enfants
coulait simplement, comme du sang d'enfants.
Chacals que le chacal repousserait,
pierres que le dur chardon mordrait en crachant,
vipères que les vipères détesteraient!
Face à vous j'ai vu le sang
de l'Espagne se lever
pour vous noyer dans une seule vague
d'orgueil et de couteaux!
Généraux
de trahison :
regardez ma maison morte,
regardez l'Espagne brisée :
mais de chaque maison morte surgit un métal ardent
au lieu de fleurs,
mais de chaque brèche d'Espagne
surgit l'Espagne,
mais de chaque enfant mort surgit un fusil avec des yeux,
mais de chaque crime naissent des balles
qui trouveront un jour l'endroit
de votre cœur.
Vous allez demander pourquoi votre poésie
ne parle-t-elle pas du rêve, des feuilles,
des grands volcans de votre pays natal ?
Venez voir le sang dans les rues,
venez voir
le sang dans les rues,
venez voir le sang
dans les rues !
Explico algunas cosas

PREGUNTARÉIS: Y dónde están las lilas?
Y la metafísica cubierta de amapolas?
Y la lluvia que a menudo golpeaba
sus palabras llenándolas
de agujeros y pájaros?

Os voy a contar todo lo que me pasa.

Yo vivía en un barrio
de Madrid, con campanas,
con relojes, con árboles.

Desde allí se veía
el rostro seco de Castilla
como un océano de cuero.
Mi casa era llamada
la casa de las flores, porque por todas partes
estallaban geranios: era
una bella casa
con perros y chiquillos.
Raúl, te acuerdas?
Te acuerdas, Rafael?
Federico, te acuerdas
debajo de la tierra,
te acuerdas de mi casa con balcones en donde
la luz de junio ahogaba flores en tu boca?
Hermano, hermano!
Todo
eran grandes voces, sal de mercaderías,
aglomeraciones de pan palpitante,
mercados de mi barrio de Argüelles con su estatua
como un tintero pálido entre las merluzas:
el aceite llegaba a las cucharas,
un profundo latido
de pies y manos llenaba las calles,
metros, litros, esencia
aguda de la vida,
pescados hacinados,
contextura de techos con sol frío en el cual
la flecha se fatiga,
delirante marfil fino de las patatas,
tomates repetidos hasta el mar.

Y una mañana todo estaba ardiendo
y una mañana las hogueras
salían de la tierra
devorando seres,
y desde entonces fuego,
pólvora desde entonces,
y desde entonces sangre.
Bandidos con aviones y con moros,
bandidos con sortijas y duquesas,
bandidos con frailes negros bendiciendo
venían por el cielo a matar niños,
y por las calles la sangre de los niños
corría simplemente, como sangre de niños.

Chacales que el chacal rechazaría,
piedras que el cardo seco mordería escupiendo,
víboras que las víboras odiaran!

Frente a vosotros he visto la sangre
de España levantarse
para ahogaros en una sola ola
de orgullo y de cuchillos!

Generales
traidores:
mirad mi casa muerta,
mirad España rota:
pero de cada casa muerta sale metal ardiendo
en vez de flores,
pero de cada hueco de España
sale España,
pero de cada niño muerto sale un fusil con ojos,
pero de cada crimen nacen balas
que os hallarán un día el sitio
del corazón.

Preguntaréis por qué su poesía
no nos habla del sueño, de las hojas,
de los grandes volcanes de su país natal?

Venid a ver la sangre por las calles,
venid a ver
la sangre por las calles,
venid a ver la sangre
por las calles!
La lutte elle-même suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
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Le Visage Nuptial par René Char

À présent disparais, mon escorte, debout dans la distance;
La douceur du nombre vient de se détruire.
Congé à vous, mes alliés, mes violents, mes indices.
Tout vous entraîne, tristesse obséquieuse.
J’aime.

L’eau est lourde à un jour de la source.
La parcelle vermeille franchit ses lentes branches à ton front,
dimension rassurée.
Et moi semblable à toi,
Avec la paille en fleur au bord du ciel criant ton nom,
J’abats les vestiges,
Atteint, sain de clarté.

Tu rends fraîche la servitude qui se dévore le dos;
Risée de la nuit, arrête ce charroi lugubre
De voix vitreuses, de départs lapidés.

Tôt soustrait au flux des lésions inventives
(La pioche de l’aigle lance haut le sang évasé)
Sur un destin présent j’ai mené mes franchises
Vers l’azur multivalve, la granitique dissidence.

Ô voûte d’effusion sur la couronne de son ventre,
Murmure de dot noire!
Ô mouvement tari de sa diction!
Nativité, guidez les insoumis, qu’ils découvrent leur base,
L’amande croyable au lendemain neuf.
Le soir a fermé sa plaie de corsaire où voyageaient les fusées
vagues parmi la peur soutenue des chiens.
Au passé les micas du deuil sur ton visage.

Vitre inextinguible: mon souffle affleurait déjà l’amitié
de ta blessure,
Armait ta royauté inapparente.
Et des lèvres du brouillard descendit notre plaisir
au seuil de dune, au toit d’acier.
La conscience augmentait l’appareil frémissant de ta permanence;
La simplicité fidèle s’étendit partout.

Timbre de la devise matinale, morte saison
de l’étoile précoce,
Je cours au terme de mon cintre, colisée fossoyé.
Assez baisé le crin nubile des céréales:
La cardeuse, l’opiniâtre, nos confins la soumettent.
Assez maudit le havre des simulacres nuptiaux:
Je touche le fond d’un retour compact.
Ruisseaux, neume des morts anfractueux,
Vous qui suivez le ciel aride,
Mêlez votre acheminement aux orages de qui sut guérir
de la désertion,
Donnant contre vos études salubres.
Au sein du toit le pain suffoque à porter coeur et lueur.
Prends, ma Pensée, la fleur de ma main pénétrable,
Sens s’éveiller l’obscure plantation.

Je ne verrai pas tes flancs, ces essaims de faim, se dessécher,
s’emplir de ronces;
Je ne verrai pas l’empuse te succéder dans ta serre;
Je ne verrai pas l’approche des baladins inquiéter
le jour renaissant;
Je ne verrai pas la race de notre liberté servilement se suffire.

Chimères, nous sommes montés au plateau.
Le silex frissonnait sous les sarments de l’espace;
La parole, lasse de défoncer, buvait au débarcadère angélique.
Nulle farouche survivance:
L’horizon des routes jusqu’à l’afflux de rosée,
L’intime dénouement de l’irréparable.

Voici le sable mort, voici le corps sauvé:
La Femme respire, l’Homme se tient debout.
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Il-Kantilena

Xideu il cada ye gireni tale nichadithicum
Mensab fil gueri uele nisab fo homorcom
Calb mehandihe chakim soltan ui le mule
Bir imgamic rimitne betiragin mucsule
Fen hayran al garca nenzel fi tirag minzeli
Nitla vu nargia ninzil deyem fil bachar il hali.

Huakit hi mirammiti lili zimen nibni
Mectatilix mihallimin me chitali tafal morchi
fen timayt insib il gebel sib tafal morchi
vackit hi mirammiti.

Huakit by mirammiti Nizlit hi li sisen
Mectatilix li mihallimin ma kitatili li gebel
fen tumayt insib il gebel sib tafal morchi
Huakit thi mirammiti lili zimen nibni
Huec ucakit hi mirammiti vargia ibnie
biddilihe inte il miken illi yeutihe
Min ibidill il miken ibidil i vintura
haliex liradi ’al col xibir sura
hemme ard bayad v hemme ard seude et hamyra
Hactar min hedann heme tred mine tamara.


La Cantilène

Arrêtez vos occupations, ô mes voisins, je viens vous raconter
Ce qui se trouve ni dans le passé ni de votre temps
Un cœur qui n'a ni souverain, ni maître, ni seigneur
Dans un puits profond, il m'a jeté par des marches usées
Où désespéré d'amour, pour me noyer je descends les marches de mon destin
Je monte et je redescends toujours dans les vapeurs bouillonnantes.

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison que je construit depuis longtemps,
Ce ne fut pas faute d'ouvriers, mais ce qui a cédé c'est l'argile molle
Où j'espérais trouver des pierres, j’ai trouvé de l’argile mole.
Il s’est écroulé, le chantier de ma maison.

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison, il s'est affaissé jusqu'aux fondations
Ce ne fut pas faute d'ouvriers, mais les pierres m'ont fait défaut
Où j'espérais trouver des pierres, j’ai trouvé de l’argile molle
Il est tombé le chantier que je construis depuis longtemps.

Et c'est ainsi qu'il est tombé le chantier de ma maison. Reconstruit-la !
Toi, change-la pour une place qui lui convient
Qui change de lieu, change le destin.
Car aux terres de tout empan correspond une forme
Il y a une terre blanche et une terre noire d'asphalte
Choisis parmi elles ! Il y en a dont tu désires le fruit.


Attribué à Pietru Caxaro
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suffragettes AB
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La musique résonnait dans le jardin
D’un indicible chagrin.
Sur un plat, des huîtres glacées
Sentaient la fraîcheur âcre de la mer.

Il m’a dit : «Je suis un ami fidèle!»
Et il effleura ma robe.
Combien ressemble peu à une étreinte
Le frôlement de ces mains-là.

Ainsi caresse-t-on les chats et les oiseaux,
Ainsi regarde-t-on les sveltes écuyères…
Le rire seul anime ses yeux calmes
Sous l’or léger des cils.

Mais les voix déchirantes des violons
Chantent derrière une brume qui s’étire :
«Bénis donc le Ciel:
Pour la première fois tu es seule avec lui.»

Anna Akhmatova
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Meduse
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Ami Z, tu m'es présent en cette solitude. 
Quand le ciel, mon problème, et l'homme, mon étude, 
Quand le travail, ce maître auguste et sérieux, 
Quand les songes sereins, profonds, impérieux, 
Qui tiennent jour et nuit ma pensée en extase, 
Me laissent, dans cette ombre où Dieu souffle et m'embrase, 
Un instant dont je puis faire ce que je veux, 
Je me tourne vers toi, penseur aux blancs cheveux, 
Vers toi, l'homme qu'on aime et l'homme qu'on révère, 
Poète souriant, historien sévère ! 
Je repasse, bonheur pourtant bien incomplet, 
Par tous les doux sentiers d'un souvenir qui plaît. 
Ton Henri, — ton fils Pierre, ami de mon fils Charles, 
— Et ta femme, — ange heureux qui rêve quand tu parles, 
Je me rappelle tout : ton salon, tes discours, 
Et nos longs entretiens qui font les soirs si courts, 
Ton vénérable amour que jamais rien n'émousse 
Pour toute belle chose et toute chose douce ! 
Maint poème charmant que nous disait ta voix 
M'apparaît... — Mon esprit, admirant à la fois 
Tant de jours sur ton front, tant de grâce en ton style, 
Croit voir un patriarche au milieu d'une idylle !

Ainsi tu n'es jamais loin de mon âme, et puis 
Tout me parle de toi dans ces champs où je suis ; 
Je compare, en mon coeur que ton ombre accompagne, 
Ta verte poésie et la fraîche campagne ; 
Je t'évoque partout ; il me semble souvent 
Que je vais te trouver dans quelque coin rêvant, 
Et que, dans le bois sombre ouvrant ses ailes blanches, 
Ton vers jeune et vivant chante au milieu des branches. 
Je m'attends à te voir sous un arbre endormi. 
Je dis : où donc est-il ? et je m'écrie : — Ami, 
Que tu sois dans les champs, que tu sois à la ville, 
Salut ! bois un lait pur, bénis Dieu, lis Virgile ! 
Que le ciel rayonnant, où Dieu met sa clarté, 
Te verse au coeur la joie et la sérénité !

Qu'il fasse à tout passant ta demeure sacrée ! 
Qu'autour de ta vieillesse aimable et vénérée, 
Il accroisse, tenant tout ce qu'il t'a promis, 
Ta famille d'enfants, ta famille d'amis ! 
Que le sourire heureux, te soit toujours facile ! 
Doux vieillard ! noble esprit ! sage tendre et tranquille !

Victor Hugo. Ami Z
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Ce que disent les vents dans leur langue nue,
en effleurant la courbe des collines, frères
des paysages crus ou sombres qu’ils traversent.

Plus d’obstacles bruyants, plus de nuits, de frontières.
Vents de grande antiquité, derniers-nés sur la mer :
le temps rompu de l’échiquier recule – puis vainqueur.

Comme l’eau scintille sur sa propre étendue ! miroirs,
diamants, saphirs, rubis de toits, émeraudes – les plaines
traversées de courant où l’eau danse, un pas, reflue.

Philippe Delaveau
Alaric

Au pays parfumé que le soleil caresse
j’ai connu, sous un dais d’arbres tout empourprés
Et de palmiers d’où pleut sur les yeux la paresse
une dame créole au charme ignoré.

Son teint est pâle et chaud ; la brune enchanteresse
A dans le cou des airs noblement maniérés
grande et svelte en marchant comme une chasseresse
son sourire est tranquille et ses yeux assurés.

Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire
sur les bords de la Seine ou de la verte Loire
belle digne d’orner les antiques manoirs
vous feriez, à l’abri des ombreuses retraites

Germer mille sonnets dans le cœur des poètes
que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs.

À une Dame créole
Charles Baudelaire
Alaric

On me demande, par les rues,
Pourquoi je vais bayant aux grues,
Fumant mon cigare au soleil,
A quoi se passe ma jeunesse,
Et depuis trois ans de paresse
Ce qu’ont fait mes nuits sans sommeil.

Donne-moi tes lèvres, Julie ;
Les folles nuits qui t’ont pâlie
Ont séché leur corail luisant.
Parfume-les de ton haleine ;
Donne-les-moi, mon Africaine,
Tes belles lèvres de pur sang.

Mon imprimeur crie à tue-tête
Que sa machine est toujours prête,
Et que la mienne n’en peut mais.
D’honnêtes gens, qu’un club admire,
N’ont pas dédaigné de prédire
Que je n’en reviendrai jamais.

Julie, as-tu du vin d’Espagne ?
Hier, nous battions la campagne ;
Va donc voir s’il en reste encor.
Ta bouche est brûlante, Julie ;
Inventons donc quelque folie
Qui nous perde l’âme et le corps.

On dit que ma gourme me rentre,
Que je n’ai plus rien dans le ventre,
Que je suis vide à faire peur ;
Je crois, si j’en valais la peine,
Qu’on m’enverrait à Sainte-Hélène,
Avec un cancer dans le cœur.

Allons, Julie, il faut t’attendre
A me voir quelque jour en cendre,
Comme Hercule sur son rocher.
Puisque c’est par toi que j’expire,
Ouvre ta robe, Déjanire,
Que je monte sur mon bûcher.

À Julie
Alfred de Musset
Alaric

Enfant ! si j’étais roi, je donnerais l’empire,
Et mon char, et mon sceptre, et mon peuple à genoux
Et ma couronne d’or, et mes bains de porphyre,
Et mes flottes, à qui la mer ne peut suffire,
Pour un regard de vous !

Si j’étais Dieu, la terre et l’air avec les ondes,
Les anges, les démons courbés devant ma loi,
Et le profond chaos aux entrailles fécondes,
L’éternité, l’espace, et les cieux, et les mondes,
Pour un baiser de toi !

Les feuilles d’automne,
Victor Hugo
Alaric

De votre chevelure
fontaine d'ébène ou d'or
Où mes pensées, j'aimais laisser aller
Aux armes posées
Quelle triste réalité
Que de votre parfum
De coquelicot et de jasmin
Sur ma peau ne plus flotter
Si mon chagrin seulement, vous pouviez m'ôter
À l'ombre de ce centenaire
Et célèbre géant
À la peau rugueuse-ambrée
De vous je ne veux rien garder
Sur cette plage, bouteille jetée
Dieu que je me maudirais
Y retourner, avec Nous, jamais !

De coquelicot et de jasmin
Melhorament
Alaric Artaud
Dernière modification par Alaric le 30 janv. 2020, 14:30, modifié 2 fois.
Alaric

Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

– L’orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.

Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :
Les gros bureaux bouffis traînant leurs grosses dames
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;

Sur les bancs verts, des clubs d’épiciers retraités
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent : » En somme !… «

Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d’où le tabac par brins
Déborde – vous savez, c’est de la contrebande ; –

Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes…

– Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.

Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.

J’ai bientôt déniché la bottine, le bas…
– Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas…
– Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…

Place de la Gare, à Charleville.
Arthur Rimbaud
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