Zone morte

A l'heure de la guerre, des champs d'horreur, faire de la terre un champs de fleurs.
Venez partager votre Art.
Kwak
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Inscription : 02 juil. 2023, 15:50

On m'avait rendu "Le Songe D'un Homme Ridicule" et il avait rejoint " Les Possédés" dans la poche intérieure de mon manteau. Ça m'a fait rire, parce que le tout faisait bien mille huit cent pages, et quand je suis rentré dans le tramway, ça faisait une bosse toute ronde au travers de ma poche, comme si je bandais du coeur. Tout le monde a levé la tête de son smartphone et m'a regardé, avec ma poitrine asymétrique de vieille amazone de la littérature. Y'a eu un moment de flottement. Comme si je portais une arme.

J'ai failli hurler "Que personne ne bouge ! J'ai du Dosto, et ça va péter ! Tout le monde à terre : c'est une criée !". Alors l'assemblée terrifiée se serait jetée au sol, puis j'aurais commencé par déclamer une longue tirade, de celles de Varvara Pétrovna par exemple, avec ses envolées toutes soviétiques, et ça aurait volé quelques instants aux gens, ça aurait tué quelques story à la con, ça aurait dégoupillé quelques valves poétiques jusque sur les murs, ça aurait amené du théâtre dans tout ce cinéma, dégueulé des gerbes de noir et de blanc au milieu de ces écrans haute-définition qui ne disent plus rien.

Mais j'ai sorti mon livre et je n'ai pas osé crier. La vieille du milieu s'est étonné que je sorte un bouquin à la place d'une bière, et au fond, elle n'avait pas tort. J'avais soif d'improvisation, j'avais soif de fête, j'avais soif de conversations enflammées et j'avais soif de rire. Ne trouvant ça que rarement, je buvais du Dosto.

Goutte à goutte.

J'ai posé mon cul sur le siège du fond et j'ai amorcé mon bouquin, seul. En quelques instants le tramway volait en éclats, le réel s'atomisait et la Russie absurde et cynique de mon vieil ami me tendait ses bras givrés. Malgré ce que nous nous dîmes (à voix basse, il est vrai), personne ne se jeta à terre. Il y avait pourtant de quoi. Tant pis ! Certains livres sont plus vivants que cent mille âmes dans les tramway.
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Angellore
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:heart:
On ne se coud jamais qu'avec du fil de soi.
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Messages : 2342
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Kwak a écrit : 23 nov. 2023, 01:57 On m'avait rendu "Le Songe D'un Homme Ridicule" et il avait rejoint " Les Possédés" dans la poche intérieure de mon manteau. Ça m'a fait rire, parce que le tout faisait bien mille huit cent pages, et quand je suis rentré dans le tramway, ça faisait une bosse toute ronde au travers de ma poche, comme si je bandais du coeur. Tout le monde a levé la tête de son smartphone et m'a regardé, avec ma poitrine asymétrique de vieille amazone de la littérature. Y'a eu un moment de flottement. Comme si je portais une arme.

J'ai failli hurler "Que personne ne bouge ! J'ai du Dosto, et ça va péter ! Tout le monde à terre : c'est une criée !". Alors l'assemblée terrifiée se serait jetée au sol, puis j'aurais commencé par déclamer une longue tirade, de celles de Varvara Pétrovna par exemple, avec ses envolées toutes soviétiques, et ça aurait volé quelques instants aux gens, ça aurait tué quelques story à la con, ça aurait dégoupillé quelques valves poétiques jusque sur les murs, ça aurait amené du théâtre dans tout ce cinéma, dégueulé des gerbes de noir et de blanc au milieu de ces écrans haute-définition qui ne disent plus rien.

Mais j'ai sorti mon livre et je n'ai pas osé crier. La vieille du milieu s'est étonné que je sorte un bouquin à la place d'une bière, et au fond, elle n'avait pas tort. J'avais soif d'improvisation, j'avais soif de fête, j'avais soif de conversations enflammées et j'avais soif de rire. Ne trouvant ça que rarement, je buvais du Dosto.

Goutte à goutte.

J'ai posé mon cul sur le siège du fond et j'ai amorcé mon bouquin, seul. En quelques instants le tramway volait en éclats, le réel s'atomisait et la Russie absurde et cynique de mon vieil ami me tendait ses bras givrés. Malgré ce que nous nous dîmes (à voix basse, il est vrai), personne ne se jeta à terre. Il y avait pourtant de quoi. Tant pis ! Certains livres sont plus vivants que cent mille âmes dans les tramway.
Merci pour cette échappée
La lutte elle-même suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
Maximilien
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Inscription : 16 janv. 2024, 08:31

Bonjour,

Quelle aventure dans ce tramway, n'est-ce pas ? C'est comme si vous aviez vécu un moment "heureux qui comme Ulysse" de votre propre épopée littéraire. Embarquer avec Dostoïevski dans votre poche, c'est un peu comme naviguer vers des terres inconnues, prêt à affronter des tempêtes de mots et des marées d'émotions. Votre récit m'a rappelé que parfois, en plein milieu du quotidien le plus banal, on peut se retrouver dans une odyssée, entouré de gens absorbés par leurs écrans, alors qu'on tient entre ses mains un univers entier. C'est fascinant de penser que, par la simple présence d'un livre, on peut transformer un trajet en tramway en une aventure. Vous n'avez peut-être pas déclamé Varvara Pétrovna, mais dans votre tête, vous avez créé un moment de théâtre, un instant où la littérature a pris vie d'une manière si vivante, si réelle. Et c'est là toute la beauté de la lecture : même en silence, elle peut faire plus de bruit que tout le vacarme du monde.
Plus d'info sur heureux qui comme ulysse.
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