Idée Noire

[Kwak]

Hier soir
Ou était-ce le matin
Je ne sais plus
Vraiment
Quand je me suis levé
Difficilement
Comme d'habitude
Que je me suis traîné
Lourdement
Vers mon bureau
Comme d'habitude

Il y avait
Une idée noire
Sur le plafond
Au dessus
De mon bureau
Avec sa peau
Velue
Et sa forme
Globuleuse
Accrochée
Dans un coin
De mon salon

Je me suis levé
Ce matin-là
Ou était-ce un soir
Je ne sais plus
Grand chose
Sinon qu’il y avait
Une petite boule
Difforme
Avachie
Sur le blanc jauni
Du plafond
De mon salon

J'ai eu très peur
De l'idée noire
Car il se dit
Chez les bonnes gens
Qu'il faut les chasser
Les combattre
Les éradiquer
Pour le bien de tous
Et pour l'idée noire
Car
Parait-il
Les idées noires
Souffrent
Surtout
D'elles-même

Je l’ai contemplée
Ne rien faire
Au plafond
J’ai du m’empêcher
De plonger
Un peu plus profond
Dans le fond
De mon idée noire
Parce que
Parait-il
Ces idées-là
On n'en revient
Jamais vraiment

Du moins
C’est ce qu’ils disent
Chez les bonnes gens

Alors j’ai demandé
A mon idée noire
Ce qu'elle faisait là
Pourquoi elle était là
Si elle comptait
M’aider pour le loyer
Vu que moi
Je la nourrissais
Jour après jour
Je lui ai demandé
De quel droit
Elle venait
Sous mon toit
Tout faire craquer
Alors que tout
Craque déjà
Partout

En réponse
Rien
L'idée restait là
Noire
À me regarder
Droit dans les yeux

Je me suis avancé
Je l'ai prise
Entre mes mains
Bouffies
Et à ma grande surprise
Elle s'est laissé attraper
Sans rien faire d’autre
Que de peser
Encore
Un petit peu plus

J'ai voulu la sortir
Lui montrer
Qu'il reste
Des choses
Des couleurs
Des gens qui rient
Des filles qui dansent
Et des soleils
Tout comme il faut

Mais
A peine
La porte passée
Avec mon idée noire
Bien au creux de mes mains
J’ai dû la cacher
Au reste du monde
Par peur
Que les bonnes gens
Ne hurlent
Ne partent
Ou ne chassent
Mon idée noire
Au vol

Parce que
Paradoxalement
On s’y attache
A ces bêtes-là

Les idées noires
Pèsent si lourd
Qu'on n'en voit rien
Mais qu'on les sent
Tout alourdir
Partout
Et les bonnes gens
Voient bien
Que tout s’affaisse
À votre passage

Une idée noire
Ne se promène pas
C'est elle
Qui vous promène
Loin des autres

Je l'ai amenée
Sous les arbres
Voir les oiseaux
A l’océan
Je l'ai faite
Danser
Chanter
Je l'ai droguée
Battue
Embrassée
Insultée
Maudite
Condamnée
Présentée
À des amis
À des amantes
À des docteurs
A des dealers
C'est un peu la même chose
Et jamais
Jamais
Même en ouvrant
Grand mes mains
Bouffies
Jamais personne
Ne voyait
Mon idée noire
Mais bien des bonnes gens
En me regardant
M’en voulaient
Silencieusement
D’avoir rendu le monde
Tout noir
A mon tour

Vaincus
Moi et mon idée noire
On est rentrés
On a mis des siècles
A cause de mes mains
Si pleines
Si lourdes
Si noires

Alors, résigné
J'ai décidé
De la chérir
Je l'ai écoutée
Cajolée
J'ai ouvert mes mains
Bouffies
Pour la libérer
Et j'ai dis :
« Viens. Je ne te chasserai plus.
Nous sommes liés.
J'ai compris, Idée.
Puis-je t'appeler Idée ? »

Pour toute réponse
Elle a pesée
Un tout petit peu moins

Ainsi
Je l'ai posée
Doucement
Sur mon bureau
Pour lui parler
De temps en temps
Et lentement
Très lentement
Peut-être
Lui fallut-il
Un jour
Ou deux
Ou trois-cent-soixante cinq
Je ne sais plus
Vraiment
Mais
Au bout
D'un instant
D'un siècle
D'un matin
Ou d'un soir
Je ne sais plus
Elle s'est glissée
Difficilement
Sur le clavier
De mon bureau
Et elle m'a montré
Des touches

Alors
Sans réfléchir
J'ai tapé
Tapé
Tapé
Sans jamais voir
Ni relire
Ce qu'elle me faisait
Taper
Taper
Taper
Et le bruit du clavier
Faisait comme une boxe folle
Comme une guerre
Entre moi
Et d’autres choses
Tant d'autres choses
Que je ne comprenais pas
Mais qui rendaient noire
Mon amie Idée

J'ai tapé
Encore
Pendant
Un moment
Puis tout à coup
Un matin
Ou un soir
Je ne sais plus
Vraiment
Mais quand
Sans m’en apercevoir
Je me suis arrêté
Et que j'ai levé la tête
Là
Sur le bureau
Il n'y avait plus
D'idée noire