
Les mots qui suivent ne sont pas les miens, collectes au gré du vent des rencontres de la vie :
Nadia (André Breton) il s’intéresse à l’irruption de l’extraordinaire :
Breton insiste en effet sur le caractère stupéfiant des faits qui l’intéressent – et par là même leur caractère incroyable, incommunicable.
* sa vie, livrée aux « hasards, au plus petit comme au plus grand », « l’introduit dans un monde défendu », et l’on peut remarquer l’insistance de Breton sur le vocabulaire de l’extraordinaire : « pétrifiantes coïncidences », « valeur peu contrôlable », « caractère absolument inattendu, violemment incident » (l. 19), « invraisemblables complicités » (l. 31) ; plus loin, il est question de « certains enchaînements, certains concours de circonstances qui passent de loin notre entendement » (l. 43-46) ; et tout le préambule sera constitué de tels hasards ou concours de circonstances.
* On reconnaît ici l’idée surréaliste selon laquelle le hasard, le rêve, les associations d’idées plus ou moins volontaires révè lent une autre réalité que le réel rationnel. C’est cette idée que l’on retrouve dans des jeux tels que les « cadavres exquis » ou l’écriture automatique.
* Ces faits, cette ouverture fulgurante (image de l’éclair, qui fait voir, l. 14), le surréaliste les recherche, ou plutôt, il est à leur égard dans une attitude de disponibilité. C’est cette disponibilité que Breton reconnaîtra en Nadja. On les reconnaît au trouble qu’ils provoquent – et on peut remarquer que Breton abandonne alors le « je » au profit du « nous » (p. 21) : le phénomène ne lui est pas propre, il a un caractère universel, mais il est occulté par la raison, le réalisme. Toute l’œuvre du surréalisme consiste précisément à refuser ces refoulements, ces tabous liés à la raison, et à se rendre disponible à de telles rencontres. C’est pourquoi Rimbaud a eu une telle importance pour eux, notamment la « Lettre du Voyant » dans laquelle il était question du « dérèglement de tous les sens », précisément pour tenter d’atteindre une telle vérité. Mais il y avait chez Rimbaud un volontarisme qui n’existe pas chez Breton.
* Enfin, de tels faits sont à la fois inquiétants (« faits-glissades », « faits-précipices », image de l’araignée dans sa toile…) et magiques : s’il est question de « l’instinct de conservation » qui nous en détourne – et l’histoire tragique de Nadja témoigne que de telles rencontres peuvent être dangereuses, et toucher à la folie – toute la fin du texte témoigne du plaisir inégalable que procurent de telles rencontres – comparables aux trouvailles de l’écriture automatique, qui nous satisfont plus que les images trouvées lucidement.
Pour témoigner de ce caractère incommunicable, stupéfiant, Breton n’a plus recours au langage scientifique, mais aux images, ou aux analogies :
* accords plaqués comme au piano
* éclairs
* fil de la vierge et toile d’araignée (à la fois « scintillante » et « inquiétante »)
* analogie entre ces coïncidences et l’écriture automatique
On peut noter toutefois qu’aucune de ces images n’est une image surréaliste (c’est à dire une image où le rapport entre le comparant et le comparé est le plus éloigné, le plus énigmatique possible). En ce sens, Nadja est un texte sur le surréalisme, mais n’est pas un texte surréaliste.
Conclusion
Ce préambule pose un certain nombre de paradoxes :
* Un texte qui n’obéit nullement aux règles de composition surréaliste, qui n’a rien ni d’une écriture automatique, ni d’un abandon aux images, mais qui se présente au contraire comme un exposé quasi scientifique, la recherche d’un connaissance de soi ;
* Mais cette connaissance de soi n’a pas lieu par une introspection psychologique, mais au contraire par l’abandon à l’inconnu, qui se manifeste par le hasard, les « pétrifiantes coïncidences », l’irruption de l’irrationnel – des faits face auxquels, comme dans le cas de l’écriture automatique, le « moi », loin d’être acteur conscient, n’est plus que le « témoin hagard » : la connaissance de soi passe par une dépossession de soi.
* Enfin, cette dépossession, pour inquiétante qu’elle soit, déstabilisante, est aussi source d’un plaisir inégalable, d’une intense satisfaction. C’est dans cet espace livré à l’imaginaire et à l’irrationnel que Breton et Nadja évolueront, ensemble, un temps.