Luame a écrit : ↑28 mai 2024, 10:14
Après un passage par
Le restaurant des recettes oubliées de Hisashi Kashiwai, réflexion positive sur les souvenirs et les nouveaux départs, revoilà Alain Damasio avec
Aucun souvenir assez solide, recueil de nouvelles de 2014.
Je suis tombé dessus par hasard dans notre bibliothèque, juste après en avoir parler avec vous
Une cité de phares noyée par des marées d'asphalte où la lumière est un langage. Une ville saturée de capteurs qui dématérialise les enfants qui la traversent. Un monde où la totalité du lexique a été privatisée. Un amant qui marche sur sa mémoire comme dans une rue...
Il écrit trop bien notre Alain

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J'ai fini hier matin la vallée du silicium, c'est très très bien écrit, la démonstration est brillante, CQFD, et toujours avec quelques traits d'humours bienvenus, il faudrait citer tout le livre, tant les propos sont d'une pertinence magistrale et la nouvelle (dénommée "lavée du silicium) qui clôt le livre à la fois cruelle et touchante, achève la démonstration. Je recommande grandement de ce livre, une oeuvre d'utilité publique, pour notre salut civique.
Comme c'est le rush de la semaine je fais court dans les extraits et vous partage celui qui à mon sens est le plus marrant

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"Un an après notre rencontre, Arnaud actualise ses nouveaux gadgets: le bracelet Whoop, version upgradée de sa bague, qui intègre désormais ses efforts récents, son taux de récupération, lui dit quand se coucher et à quelle heure il faudrait se lever pour être au mieux, affine l'impact de ses choix de vie (la fête, avoir bu, pas assez dormir...) sur son niveau de santé et nourrit un journal comportemental qui relève du self-care et encore et toujours de l'optimisation. Arnaud pense adopter les toilettes connectées avec son petit labo d'analyse d'urine qui l'alerterait sur son hydradatation, ses métabolites ou le risque de calculs rénaux _ même pisser ne doit plus être un acte gratuit, même pisser doit informer, doit conformer. (...) Avec ces batteries de senseurs, de capteurs et de mesure en temps réel, les assurances maladie jubilent. L'appropriation publique à grande échelle des données intimes de santé est sans doute, disons avec le revenge porn, la chose la plus obscène qu'on ait pû imaginer dans le viol de la vie privée. Il n'y a rien au-dessus. Et il n'y a rien de plus dangereux non plus dans la manipulation future des citoyennes (alain adopte le pluriel neutre un chapitre sur deux). Pisser connectée, comment dire? C'est donner ton caca au big data pour préparer la big cata. La tienne et la nôtre. La biopolitique pour les nulles. Covid soit qui mal y pense."
Allez un autre, un peu plus poétique:
"Les silicon leaders sont des mythocrates. Il s'agit de s'assurer la convergence synchrone des attentions et de polariser le champ magnétique des pulsions, en suspension dans le réseau, autour de désirs universels: ne plus vieillir, ne plus mourir, conquérir l'espace etc. Et d'emporter ainsi la croyance et l'adhésion par contagion affective à grande échelle. La politique populiste y a vite trouvé son vecteur idéal, d'où sa manipulation boulimique des réseaux. Nous autres , écrivains et scénariste de SF, que nos supports soient le roman, la bande dessinée, le jeu vidéo, le long-métrage ou la série, nous travaillons aussi le futur, mais en artisans. Et plus finement encore: en mythopoètes. Telle est ma conviction personnelle en tout cas: si nous avons une responsabilité politique, elle est de battre le capitalisme sur le terrain du désir. Comment? En déployant une écriture qui, par ses thèmes, sa narration et ses personnages, donne envie non seulement de se bouger et d'amener un monde vivant à l'existence, mais fasse aussi bruisser le désir des liens dans le tissage. Qui nous fasse éprouver le goût que prend le cosmos sur nos lèvres quand les étoiles pleuvent, qui nous fasse sentir ce que ça fait d'être cousu à même un collectif, fil à fil, à même la liberté des autres qui devient sienne. (...) Si j'ose le jeu de lettres, le connectif a coupé net la double aile du collectif pour lui greffer à la place sa double haine - de soi et des autres. Mytho alors? Oui, si l'on avise que la mythopoïèse est l'art prècieux de faire pousser des mythes dans les interstices du béton effondriste. L'art de mettre en scène et en récit des êtres, des entités, des créatures ou des forces qui nous aident à penser le présent et son opacité grandissante/ quand "la maison de l'être disparaît sous les échafaudages" comme le dit joliment Sloterdijk, que la technologie s'auto-réplique jusqu'à devenir inassimilable, que le big data dessine la big cata d'une information torrentielle, boueuse, et fausse qui emportera toute possibilité de penser juste, alors les myhtes (ici ceux de la science fiction) viennent redonner sens à ce que nous n'arrivons plus à appréhender. Ils offrent une saisie par identification, un langage allégorique immémorial et une compréhension des phénomènes par le récit qui va les concaténer. Le robot de Karel Capek a permis de penser le devenir-machine des ouvriers à la chaîne des 1920; Matrix notre immersion dans un réel simulé dont nous ne parvenons plus à nous arracher; blade runner notre trouble à circonscrire la spécificité de l'humain face à ses réplique sentientes.""
(...) deux pages plus tard; fin de citation
"Pour le dire en rime, nos imaginaires modernes affrontes des imachinaires. (...). Si la mythopoïèse est l'avenir du politique, comme je le crois, elle l'est parce-que seul le mythe a cette faculté de fusionner affects, percepts et concepts dans une seule boule d'énergie, dans un seul soleil de la taille d'un poing où toutes nos mains se fondent. Si le peuple ne prééxiste jamais, comme le disait Deleuze, c'est parce- qu'il est à créer _ par et sous ce soleil du mythe qui frappe le capital au plexus. C'est à ça que nous entendons contribuer."""
Evidemment j'ai du coup entamé un livre sf hier soir "espace lointain" de Jaroslac Melnik, la narration se passe à mégalopolis (coppola l'aurait-il lu? Je ne sais), en tout cas un petit frère du mythe de la caverne de Platon, résumé:
Pour ce qui est des restaurants, j'ai réservé une table dans le roman de Bill Bufford: "chaud brûlant-", titré plus longuement comme suit: """les aventures d'un amateur gastronome en esclave de cuisine, chef de partie, fabricant de pâtes fraîches et apprenti chez un boucher toscan, amoureux de dante""".
Allez déjà l'heure de manger, mais en tant que lectrice d'e roman d'anticipation, j'avais anticipé, le repas est prêt

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