Alors la Poésie est venue

Partages sur la littérature, la poésie, ...
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UnPetitBoutDeNous
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Que de doux tendres et intelligents partages, @suffragettes AB , @Meduse , @ptitboutdepoesie ... j'aime à vous lire... qu'il soit votre ou pas ces mots. Ils vous vont si bien.
Vos pensées sont poèmes!
Alors sourires!

Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,
Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux,
Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes,
S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes.
Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple mourant en face du balcon.
Du bouffon favori la grotesque ballade
Ne distrait plus le front de ce cruel malade ;
Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,
Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,
Ne savent plus trouver d'impudique toilette
Pour tirer un souris de ce jeune squelette.
Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu
De son être extirper l'élément corrompu,
Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,
Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,
Il n'a su réchauffer ce cadavre hébété
Où coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé.



Spleen : Je suis comme le roi d'un pays pluvieux
Baudelaire
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ptitboutdepoesie
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Merci!


Aimée a Jamais
par Ghérasim Luca


S'il y a un amour en général, il faut avant tout que j'aime celle qui n'est pas l'aimée et c'est dans cette aimée même que je me fais aimer comme amour et que
l'aimée m'aime comme amant de l'amour que j'aime comme aimée.

Par quoi il ne faut pas entendre que l'amour aime l'aimée mais que, au contraire, c'est l'aimée qui aime ce qu'on aime tout en s'aimant comme amour d'une aimée et que cette
aimée aime par elle-même comme la même aimée et comme cette aimée même.

Un amour qui aurait à aimer l'aimée sans être l'aimée même serait ce qu'on n'aime pas.

L'aimée que j'aime a à aimer ce qu'elle aime c'est-à-dire ce qu'elle aimera.

Ainsi, en aimant l'amant ou l'amour, ma bien-aimée aime l'amour dans son amant, en tant qu'elle-même est l'aimée de la non-aimée qui aime.

Pour que la non-aimée puisse n'être pas l'amour et pour qu'elle puisse aimer l'amant du non-amour sans que l'aimée soit la nonaimée de l'amour, il faut qu'elle ait à
aimer elle-même le n'être-pas-aimée, il faut qu'elle ait à ne pas aimer le non-amant de son amour.

Et cet amour même qui est l'amant de l'aimée fait qu'il y a un non-amant aimanté.

Cela ne signifie point que ma bien-aimée aime ce qu'elle aime, mais simplement qu'elle aime à aimer non pas l'amour aimé mais l'amour aimant, l'amour aimantant, amoureusement
aimanté par son amant amoureusement aimé.

Et il va de soi que pour l'amant aimanté-aimantant, aimer-ce-qui-n'est-pas-1'aimée est tout entier aimanté par la non-aimée, l'amant aimant ce qui n'est pas- l'aimée
aimantante sur le mode aimanté de la non-aimée aimée, le ne-pas-aimer-la-non-aimée n'est jamais aimé mais amoureusement non-aimé dans un amour aimantant, l'amour
ne peut ne pas être aimé qu'en tant qu'il est amour de l'aimée même comme n'aimant que la non-aimée adorée.

Ainsi, l'aimée aime ce que j'aime c'est-à-dire soi-même, l'adorée.

Seulement cette aimée doit aimer une aimée qui s'aime et qui est aimantée par son amour d'être aimée par elle-même.

Lorsque, en effet, l'aimée s'aime comme n'aimant pas ce que j'aime, elle aime déjà ce qu'elle n'aime pas, elle aime la non-aimée adorée.

C'est que, lors de l'aimantation de l'aimée, l'amant n'aimait pas seulement l'aimée mais aussi la non-aimée ardente.

Celle que je me fais ne pas non-aimer, ce n'est pas seulement en tant que je n'aime pas qu'elle n'aime pas ce que j'aime éventrer, mais je me fais précisément ne pas aimer une
non-aimée qui se fait ne pas aimer ce que j'ai à aimer, c'est-à-dire ce que j'ai à éventrer dans l'âme ardente de son amour.

Seulement cette double aimantation de ma bien-aimée est ce que j'aime ne pas non-aimer: ou bien je me fais ne pas aimer l'aimée et alors l'aimée est l'amour pour moi et j'aime
mon amour pour elle; dans ce cas l'aimée cesse d'être l'amour pour moi c'est-à-dire l'aimée qui me fait aimer l'amour pour elle par amour d'être aimée par moi; ou
bien l'aimée aime bien mon amour pour elle et se fait n'être aimée que par mon non-amour pour elle mais en ce cas je deviens amour pour moi et elle n'aime pas son amour par
delà mon amour pour elle.

Quelles que soient les aimantations, les ventilations et les adorations dans l'âme de ma bien-aimée, si l'aimée doit aimer d'abord l'amour, elle est celle qui, par amour, ne peut
s'aimer dans l'âge d'or de l'amour déjà aimé mais dans ce qu'on peut amoureusement désigner comme l'âme de l'or fabriqué dans l'amour à aimer.

Puisque pour l'aimée à aimer l'amour est ce qui sera fabriqué, en d'autres termes l'aimée est l'aimée jamais aimée, l'aimée aimée à jamais.

En ce sens mon amour pour elle n'est pas ce que j'aimais, mais ce que j'aime à ne pas aimer tout en aimant ce qu'elle-même aime.

Donc, le je-suis-aimé m'aime.

Et j'aime ma bien-aimée dans ce qu'elle-même aime à ne pas aimer ce qui n'est pas à aimer-aimant.

Je l'aime dans le j'aimerai de ce que j'avais toujours aimé, fabriqué, aimanté et amoureusement éventré.

Mais, par là même, j'aime et je non-aime non seulement l'aimée-non-aimée de mon amour mais le non-amour-même, c'est que je ne pourrais pas ne pas aimer le
je-serai-aimé par l'amour, dans l'amour, pour l'amour, si je n'avais déjà aimé-aimerai le non-amour de l'amour éventé, implicite et éternel.

J'aime l'amour en lui laissant l'âme et le ventre de ma bien-aimée entre les mains.

Mais comme j'aime l'amour entre l'âme et le ventre de ma bien-aimée j'aime l'âme-ventre de ses mains éventrées, c'est-à-dire ma bien-aimée ardemment
implicitée dans ses mains.

Ainsi, cet amour est à la fois mon âme éventée par ses mains et le ventre de ma bien-aimée ardemment éventré par l'âme aimantée de mon ventre.

Dans la mesure où l'âme d'or de ma bien-aimée adorée est fabriquée comme âge d'or artificiel dans les aimantations ardentes de nos amours à aimer, l'amour
à aimer reste ouvert comme un non-ventre.

Comme âge d'or non-artificiel l'amour n'est que le retour éventré vers ce ventre maternel qui le mure à jamais dans son centre.

Mais l'amour n'est pas le centre d'un ventre, il est centre d'un centre, son propre ventre c'est-à-dire non-mère éventrée, aimantation et murmure, ouverture.

Celle-ci est ainsi, d'une part, l'aimée ouverte ou l'aimée à aimer au delà des murs éventrés, mais d'autre part l'aimée aimée a dans son ventre muré
la non-aimée adorée; disons mieux, puisque ma bien-aimée aime ce qu'elle aimera elle n'aime plus ce que j'aime; mais en tant qu'elle aime déjà ce qu'elle aime, elle
aime à jamais ce que je n'aime pas.

L'amour est lui-même ce non-amour que j'aime.

Du côté de l'amour de l'aimée, l'aimée est aimée comme la non-aimée adorée qui m'aime, les murs de son ventre à éventrer sont murés dans le
centre; du côté de l'aimée de l'amour, la non-aimée adorée est aimée comme aimée aimée, car toute aimée que j'ai à aimer est adorée à
jamais.

Pourtant cet amour éventé dans soft centre qui est mon amour à adorer n'est pas une ouverture dans le mur mais ouverture sans mur.

Car il ne s'agit pas d'ouvrir ce qui n'est pas ouvert mais bien de rendre ouvrant ce qui n'est qu'ouvert; il s'agit d'ouvrir l'ouvert, de rendre aimante-aimantante l'aimée à aimer et
d'éventer non le centre d'un ventre mais les cent vents éventés au delà des murs éventrants.

Et c'est à partir de ces vents éventés par le non-ventre éventré de ma bien-aimée que l'âge d'or artificiel fait ses aimantations fabriquées dans le
centre aimantant-fabri-quant de l'amour à aimer.

A vrai dire, l'aimantation fabriquée-fabri-quante de l'amour à aimer était déjà là, mais murée dans les murmures du déjà-là.

C'est pourquoi la toujours-aimée n'est plus la déjà-aimée-là.

Mais cette toujours-aimée, comme amour de mon amour, j'aime en outre que l'aimée-là l'aime en tant qu'elle est n'importe où c'est-à-dire comme aimée-partout
murmurante.

Comme telle elle est et n'est pas partout: âme-trou, ventre-tout, pendant que l'aimée-là n'y est pas et c'est ce n'y-est-pas amoureusement éventé qui est le non-amour
de mon amour.

Ëventrer le tout c'est vider le trou de son non-trou éventrant, non pas à titre de non-aimée à vider — cette aimée-non-aimée nous renverrait à la
jamais-aimante murée à jamais dans son ventre que je ne puis vider et dans laquelle précisément il n'est rien à proprement parler puisqu'elle aime ce qu'elle aime
— mais à titre d'aimée à aimer partout et toujours dans le trou de son âme fabriqué comme un non-tout adoré et troublant.

Il s'agit donc de remplir ce non-tout adoré d'un trou à trouer, à vider, à aimer, à troubler, à murmurer.

Mais puisque le trou à trouer est l'aimée à jamais et ainsi seulement l'une des aimées, on a déjà dit qu'il est lui-même le vide à vider; car ce vide
à vider le vide de l'aimée étant une aimée, une vidée, il est justement troué ainsi comme ce qui a en soi-même l'aimée, la trouée.

En d'autres termes, l'aimée n'est pas le contraire de l'aimée à aimer mais seulement le contraire de soi-même, la vidée; ainsi l'aimée est en elle-même le
non-tout adoré; ou encore elle n'est pas un contraire du non-tout mais est le trou d'un vide à vider qui remplit le non-tout adoré comme un tout.

Il reste donc à remplacer le non-tout adoré de tout l'or de l'air de l'âme de l'amour, de tous les vents éventés par l'amour, de tous les murmures aimantés contre
les murs, contre les mères, de tous les trous anti-trous de nos amantes.

Ouverture, vent, centre, trou aimantant, or fabriqué, âge d'or fabriqué-fabriquant, or d'air, air d'âme, murmure et ventre sont animés l'un envers l'autre comme le sont
l'aimée et l'amant et leur amour consiste plutôt à se poser comme non-amour et à s'adorer perpétuellement dans la non-aimée même.

Il y a bien deux amants qui s'aiment, ils s'aiment eux-mêmes, ils s'aiment eux-mêmes comme non-amants, c'est-à-dire que chacun est l'amant de soi-même, ils ont leur amant en
eux et ont seulement un seul amour à adorer.

L'amour ou cette aimée adorée, tel que tout ce qui est non-tout s'aime d'une façon quelconque, par exemple comme vide vidé, est plutôt le contraire de cette aimée,
a été en vérité l'âme de tout le non-tout parcouru depuis la toujours-aimée-partout mais c'est seulement dans le trou d'un trou que cette âme elle-même a
un ventre à trouer.

Dans l'amour qui a un vide à vider et non pas un ventre troué d'âme, l'aimée devient la toujours-aimée-là, mais l'aimée se vide à nouveau comme
aimée, puisqu'elle s'aime en deux aimées-partout c'est-à-dire comme un non-tout qui s'aime mais qui s'aime comme quelque chose à vider de sa non-aimée
adorée.

Désormais, l'amour comme aimée à aimer a une double non-aimée, l'une le trou du non-tout et de la déjà-aimée-là, la troublante, mais qui pour lui est
l'aimée comme non-amour, et la seconde, lui-même précisément, trou du non-tout et qui, amoureusement, est aimé seulement dans son tout vidé de tout.

Ce que l'amour de l'amour aime tout en s'aimant comme à-aimer, a aussi, en tant qu'il s'aime comme à-aimer, non seulement le tout et le non-tout amoureusement remplis de vide à
vider mais encore le non-tout vidé de tout son tout à vider.

Ce non-tout à vider, tel qu'il s'est vidé comme aimée vidée-vidante, n'est donc que l'aimée encore aimante de l'amour amoureusement troué d'aimées.

S'étant seulement aimé en soi-même, en aimant l'aimée-là, il ne s'y est pas aimé comme non-aimée de cette aimée-là.

La non-aimée s'aime bien comme bien-aimée-tout, mais en outre comme non-aiméelà, et en même temps comme aimée-non-tout en tant que l'aimée vidée-vidante
de la toujours-aimée-partout.

Une telle aimée n'a rien de non-aimée en elle et doit amoureusement se vider devant le non-tout à aimer parce que ce qui est troué est justement ce qui n'a pas son non-tout
en lui-même, mais ce qui a son trou dans le non-trou adoré.

Mais, en fait, cette aimée, au lieu d'aimer ce qui est à aimer en ouvrant l'à-aimer jusqu'à l'aimant-aimantant, n'aime pas ce qui s'aime dans un tout comme non-trou
aimanté par le tout vide et vidant.

C'est pourquoi elle aime aimer le non-vidant entre les murs d'un amour qui est mère éventrante, qui n'est aucunement l'or et l'air troués d'âmes, murmurants, ni le vent au
delà de son centre.

Lorsque, par la suite, on découvre que la mère-mur adorée n'est pas la bien-aimée à ouvrir, à couvrir et à trouer, la toujours-aimée est déjà
la déjà-aimée-là comme un tout vidé à jamais de son non-tout que j'aime, que j'ai à aimer et que j'aimerai partout et toujours.

C'est précisément ce qui est à non-vider.

Car il n'y a, par rapport à ma bien-aimée aimantante, aucun tout muré, aucune aimantation déjà aimantée.

Mais qui me décidera à trouer les murs aimantés sinon ma bien-aimée?

Mon amour c'est ma bien-aimée adorée et ma bien-aimée est à adorer dans ma bien-aimée et j'adore l'adorée, l'ardente, la tou-jours-adorée, la
partout-odorante, je l'adore, j'adore son odeur, ce tout et ce non-tout éventés par ma bien-aimée partout et cette aimantation adorée qui est son non-ventre adoré,
adorant et amoureusement fabriqué en or fabriqué dans l'âge d'or fabriqué de mon Amour, comme un grand trou vide troué dans un grand trou à vider jusqu'à la
fin des âges.
~
"Un jour viendra, nous aurons des rêves à nouveau. Et le cœur vierge de tout passé nous ouvrirons les yeux sur un nouveau monde..."
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UnPetitBoutDeNous
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Il est un feu discret qui se cache en ton âme,
Mais qui tremble et palpite à tous les coups du sort :
C'est l'espoir ! Défends bien cette petite flamme ;
Si la flamme s'éteint, ami, ton cœur est mort.


Le talisman
Amiel
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Nobody
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UnPetitBoutDeNous a écrit : 01 oct. 2020, 22:16 Il est un feu discret qui se cache en ton âme,
Mais qui tremble et palpite à tous les coups du sort :
C'est l'espoir ! Défends bien cette petite flamme ;
Si la flamme s'éteint, ami, ton cœur est mort.


Le talisman
Amiel


L’espoir luit comme…


L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table ?

Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,
Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercé.

Midi sonne. De grâce, éloignez-vous, madame.
Il dort. C’est étonnant comme les pas de femme
Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.

Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors ! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah ! quand refleuriront les roses de septembre !

Paul Verlaine
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UnPetitBoutDeNous
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Dans le brouillard s'en vont un paysan cagneux
Et son bœuf lentement dans le brouillard d'automne
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux

Et s'en allant là-bas le paysan chantonne
Une chanson d'amour et d'infidélité
Qui parle d'une bague et d'un cœur que l'on brise

Oh! l'automne l'automne a fait mourir l'été
Dans le brouillard s'en vont deux silhouettes grises


Automne
Guillaume Apollinaire
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Prenez un mot, prenez-en deux faites cuire comme des oeufs, prenez un
petit bout de sens puis un grand morceau d'innocence, faites chauffer à
petit feu au petit feu de la technique, versez la sauce énigmatique
saupoudrez de quelques étoiles, poivrez et puis mettez les voiles. Où
voulez-vous donc en venir ? À écrire vraiment ? à écrire ?

Raymond Queneau
La lutte elle-même suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
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La lutte elle-même suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
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Meduse
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Je te donne ces vers…
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal

Je te donne ces vers afin que si mon nom
Aborde heureusement aux époques lointaines,
Et fait rêver un soir les cervelles humaines,
Vaisseau favorisé par un grand aquilon,

Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,
Fatigue le lecteur ainsi qu’un tympanon,
Et par un fraternel et mystique chaînon
Reste comme pendue à mes rimes hautaines ;

Être maudit à qui, de l’abîme profond
Jusqu’au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne réponds !

– Ô toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,

Foules d’un pied léger et d’un regard serein
Les stupides mortels qui t’ont jugée amère,
Statue aux yeux de jais, grand ange au front d’airain !


L’âme du vin

Charles Baudelaire

Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :
« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content ;

J’allumerai les yeux de ta femme ravie ;
A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »
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Nobody
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Afin Qu'il N'y Soit Rien Changé par Rene Char

Tiens mes mains intendantes, gravis l'échelle noire, ô dévouée ; la volupté des graines fume, les villes sont fer et causerie lointaine.

Notre désir retirait à la mer sa robe chaude avant de nager sur son cœur.

Dans la luzerne de ta voix tournois d'oiseaux chassent soucis de sécheresse.

Quand deviendront guides les sables balafrés issus des lents charrois de la terre, le calme approchera de notre espace clos.

La quantité de fragments me déchire.
Et debout se tient la torture.

Le ciel n'est plus aussi jaune, le soleil aussi bleu.
L'étoile furtive de la pluie s'annonce.
Frère, silex fidèle, ton joug s'est fendu.
L'entente a jailli de tes épaules.

Beauté, je me porte à ta rencontre dans la solitude du froid.
Ta lampe est rose, le vent brille.
Le seuil du soir se creuse.

J'ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l'assaut de la pierre de l'éternité.

«Je t'aime », répète le vent à tout ce qu'il fait vivre.
Je t'aime et tu vis en moi.
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UnPetitBoutDeNous
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Vous qui avez écrit qu’il n’y a plus en terre
De nymphe porte-flèche errante par les bois,
De Diane chassante, ainsi comme autrefois
Elle avait fait aux cerfs une ordinaire guerre,

Voyez qui tient l’épieu ou échauffe l’enferre ?
Mon aveugle fureur, voyez qui sont ces doigts
D’albâtre ensanglantés, marquez bien le carquois,
L’arc et le dard meurtrier, et le coup qui m’atterre,

Ce maintien chaste et brave, un cheminer accort.
Vous diriez à son pas, à sa suite, à son port,
A la face, à l’habit, au croissant qu’elle porte,

A son oeil qui domptant est toujours indompté,
A sa beauté sévère, à sa douce beauté,
Que Diane me tue et qu’elle n’est pas morte.


Vous qui avez écrit qu’il n’y a plus en terre
Théodore Agrippa d’Aubigné
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Nobody a écrit : 02 oct. 2020, 07:32
UnPetitBoutDeNous a écrit : 01 oct. 2020, 22:16 Il est un feu discret qui se cache en ton âme,
Mais qui tremble et palpite à tous les coups du sort :
C'est l'espoir ! Défends bien cette petite flamme ;
Si la flamme s'éteint, ami, ton cœur est mort.


Le talisman
Amiel


L’espoir luit comme…


L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table ?

Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,
Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercé.

Midi sonne. De grâce, éloignez-vous, madame.
Il dort. C’est étonnant comme les pas de femme
Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.

Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors ! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah ! quand refleuriront les roses de septembre !

Paul Verlaine
Le bonheur est mélancolique.
Le cri des plus joyeux oiseaux
Paraît lointain comme de l'eau
Où se noierait une musique.

À l'œil qui s'en repaît longtemps
La couleur des fleurs est moins fraîche ;
L'herbe a parfois l'air d'être sèche
Sur le sein même du printemps.

L'allégresse comme un mensonge
Hausse sa note d'un degré
Et l'angoisse au cœur se prolonge
Sous un jour trop longtemps doré.

Le bonheur est mélancolique.
Cécile Sauvage
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Meduse a écrit : 28 oct. 2020, 19:34 Je te donne ces vers…
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal

Je te donne ces vers afin que si mon nom
Aborde heureusement aux époques lointaines,
Et fait rêver un soir les cervelles humaines,
Vaisseau favorisé par un grand aquilon,

Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,
Fatigue le lecteur ainsi qu’un tympanon,
Et par un fraternel et mystique chaînon
Reste comme pendue à mes rimes hautaines ;

Être maudit à qui, de l’abîme profond
Jusqu’au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne réponds !

– Ô toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,

Foules d’un pied léger et d’un regard serein
Les stupides mortels qui t’ont jugée amère,
Statue aux yeux de jais, grand ange au front d’airain !


L’âme du vin

Charles Baudelaire

Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :
« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content ;

J’allumerai les yeux de ta femme ravie ;
A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »
Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,
Même quand elle marche on croirait qu'elle danse,
Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés
Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.

Comme le sable morne et l'azur des déserts,
Insensibles tous deux à l'humaine souffrance,
Comme les longs réseaux de la houle des mers,
Elle se développe avec indifférence.

Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants,
Et dans cette nature étrange et symbolique
Où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique,

Où tout n'est qu'or, acier, lumière et diamants,
Resplendit à jamais, comme un astre inutile,
La froide majesté de la femme stérile.


Avec ses vêtements ondoyants et nacrés
Baudelaire
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suffragettes AB
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Inscription : 08 déc. 2019, 08:27

Découvert ce jour dans "les poètes l'univers" de Luminet, Herman Broch, sacrée écriture! Aux accents thermodynamiques et phénoménologiques.

Magistral extrait!



Instinct du rythme et tout harmonieux invoqués par Virginia Woolf

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Meduse
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Pour soulever un poids si lourd, 
Sisyphe, il faudrait ton courage ! 
Bien qu'on ait du cœur à l'ouvrage, 
L'art est long et le temps est court. 

Loin des sépultures célèbres, 
Vers un cimetière isolé, 
Mon cœur, comme un tambour voilé, 
Va battant des marches funèbres. 

- Maint joyau dort enseveli 
Dans les ténèbres et l'oubli, 
Bien loin des pioches et des sondes ; 

Mainte fleur épanche à regret 
Son parfum doux comme un secret
Dans les solitudes profondes. 

Le guignon 
Charles Baudelaire 
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Meduse
Messages : 2773
Inscription : 23 nov. 2019, 14:28

Donne-moi tes mains pour l'inquiétude
Donne-moi tes mains dont j'ai tant rêvé
Dont j'ai tant rêvé dans ma solitude
Donne-moi tes mains que je sois sauvé

Lorsque je les prends à mon pauvre piège
De paume et de peur de hâte et d'émoi
Lorsque je les prends comme une eau de neige
Qui fond de partout dans mes mains à moi

Sauras-tu jamais ce qui me traverse
Ce qui me bouleverse et qui m'envahit
Sauras-tu jamais ce qui me transperce
Ce que j'ai trahi quand j'ai tresailli

Ce que dit ainsi le profond langage
Ce parler muet de sens animaux
Sans bouche et sans yeux miroir sans image
Ce frémir d'aimer qui n'a pas de mots

Sauras-tu jamais ce que les doigts pensent
D'une proie entre eux un instant tenue
Sauras-tu jamais ce que leur silence
Un éclair aura connu d'inconnu

Donne-moi tes mains que mon coeur s'y forme
S'y taise le monde au moins un moment
Donne-moi tes mains que mon âme y dorme
Que mon âme y dorme éternellement.


Les mains d'Elsa
Louis Aragon
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UnPetitBoutDeNous
Messages : 186
Inscription : 25 juil. 2020, 23:26

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

- O douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

L'Ennemi, Les Fleurs du mal

Charles Baudelaire
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