Les deux bossus
Il était une fois un vilain bossu. Il avait la tête qui penchait d'un côté et la bosse
de l'autre. Mais la laideur n'avait pas touché son cœur. Le sourire ne le quittait jamais,
et il s'émerveillait de tout. Chaque matin était pour lui le commencement du monde et
chaque nuit étoilée la célébration de l'univers. C’était un bossu au cœur tendre.
Un jour, dès l'aube, il quitta sa maison et salua son voisin qui allait travailler. Il
communiquait sa bonne humeur à tous ceux qu'il croisait. Quittant le village, il marcha
au hasard jusqu'à une grotte. À l'heure de la sieste, il s'y abrita pour fuir la chaleur de la
journée. Or, c'était un lieu secret où sept djinns venaient chanter pour rythmer les sept
jours de la semaine car, entre autres charges, les génies ont pour mission de surveiller
l'ordonnancement du temps. Ils n'avaient pas trouvé mieux pour garder le rythme que
de le chanter en couplets. Ils formaient une ronde dans la grotte et s'adonnaient avec
passion à leurs chants : lundi, mardi, mercredi...
Le bossu se réveilla. Enchanté par ce spectacle, il battit des mains à son tour et
entra dans la ronde, puis se mit à improviser une chansonnette sur le même rythme
avec des paroles si étranges que les génies en étaient tous amusés. Ils entourèrent le
bossu et, pour le récompenser de la joie qu'il venait de leur offrir par sa fantaisie, ils le
débarrassèrent en un clin d'œil de sa bosse. Personne ne reconnut l'homme radieux
qui sortit de la grotte. Il rentra chez lui et conta son histoire à ses voisins émerveillés.
Or, il se trouvait que, dans un autre quartier, il y avait un autre bossu. Mais lui
était tout le contraire du premier. Il était fourbe, orgueilleux et avait mauvais caractère.
Quelques jours plus tard, il se dirigea à son tour vers la grotte et, à l'heure
de la sieste,
il vit apparaitre la ronde des sept génies qui se mirent à chanter en chœur les sept jours
de la semaine. Ils étaient tout à leur rythme lorsque le mauvais bossu, qui avait en plus
une voix de crapaud, pénétra dans la ronde, incapable d'adapter ses pas, d'accompa-
gner la musique, ou même de garder la rime. Ainsi, il avait rompu la chaîne du temps.
Désappointés et mécontents, les sept génies, en un clin d'œil,
plantèrent la bosse du premier bossu sur la poitrine du deuxième qui rentra chez lui furieux, une
bosse par-derrière, une bosse par-devant.